[texte Shin] Face au miroir

(ce texte comporte un passage plus ou moins explicite, j'espère ne choquer personne...vous pouvez toujours me faire part de vos réactions via mp. De plus, il y a surement des milliers de fautes vue l'heure)

La pluie tombait drue sur le roc de l'Estoc. Dehors le parfum de l'herbe mouillée se mêlait aux embruns. La nuit et les astres se livraient leur lutte éternelle, laissant aux ombres le plaisir de danser tout autour de l'imposante Tour Invisible. La pluie tombait drue sur les vitraux chamarrés du premier étage, imposant sa mélodie à la pièce riche et sombre qui servait de bureau au Gardien.
Shindaal était fier de lui, entouré de ses trophées. Autour de lui gisaient son pourpoint tâché de sang, symbole de la réussite de sa chasse au cobayes pour Mordrahan, ses grimoires et parchemins anciens qu'il arrachait aux ruines eths et aux mains des trafiquants à grand renfort de sueur et d'or, ses artéfacts dont il devait la découverte à son intelligence et sa logique hors du commun. Il aimait observer sa puissance et sa réussite, pourtant, ce soir là, son fauteuil aux allures de trône lui semblait plus inconfortable que jamais.
Comme chaque fois qu'un problème semblait apparaître, il prenait les devant et lui opposait son raisonnement. Pourquoi cet inconfort inexplicable? Sans doute la fatigue faisait-elle baisser ses barrières mentales et laissait-elle son inconscient déborder. Il fallait en tirer partie; le tueur savait depuis longtemps que son cerveau enregistrait plus d'informations que sa conscience ne voulait bien traiter. Il était temps de s'en saisir. Ses doutes par rapport à Syrielle ? L'organisation de la tour? Ses plans pour Stass qui prenaient une tournure particulière? Il se posait ces questions tous les jours. C'était autre chose. Les yeux mi-clos, la respiration lente, il laissa venir toutes les images possibles. Melyth cuisinait toujours aussi bien. Anthaxia lui proposait des lames portant de nouvelles runes de puissance. Les vagues venaient lécher les côtes de son île avec une sensualité musicale. Moroana lui souriait. Sélène embrasait sa peau de baisers.

Un tonnerre silencieux s'abattit sur la pièce. La lumière disparut un instant, dévorée par le néant, par l'ombre qui jaillit des yeux du kélari réveillé en sursaut. Lentement, avec précaution, le Gardien quitta son trône et fit quelques pas jusqu'à se trouver face à un long miroir. Sans savoir véritablement pourquoi mais convaincu que c'était une nécessité il laissa choir ses vêtements jusqu'à se retrouver nu.

La pluie ne tombait plus sur le roc de l'Estoc. Le parfum des vieux vélins et le crépitement des bougies s'étaient tus. La pluie ne berçait plus l'esprit du kélari qui écoutait son coeur.

Longuement et avec minutie, Shindaal se détailla. Il regarda ses yeux d'un noir aussi profond que l'Ombre, son visage creusé. Il aperçut ses muscles finement dessinés sur son torse, sa peau anthracite qui semblait maîtresse de la lumière tant elle jouait d'ombres. Il observa son sexe, ce drôle d’appendice inutile que les forges lui avait rendu. Pourquoi ? La question le frappa avec la vivacité d'une lame de Thanos. Etait-il toujours un homme? Etait-ce réellement inutile? Depuis sa renaissance il s'était juré de ne plus connaître ni homme ni femme. Pourquoi ce corps? Pourquoi ce reflet dans le miroir, si cruel ?
Il était au delà de la mortalité, au delà de ces préoccupations et pourtant ce soir-là, ces questions ressurgissaient telles des spectres inquiétants. Pouvait-il encore plaire? Moroana jouait-elle avec sa volonté ou était elle amoureuse de lui? Sa raison le conduisait-elle à la déraison?
Face au miroir il se sentait faible et beau et cela lui rappelait ses sourires qui laissaient le goût métallique du sang envahir sa bouche après une victoire. Cette douce aigreur que l'on désire et que l'on hait. Qui était-il ? Oh bien entendu il savait de quelles âmes on l'avait doté. Puissantes, mais si faibles face à celle du kélari ayant connu tant de tourments qu'elles furent absorbées dévorées par lui. Etait-il toujours cet elfe noir? N'était-il vraiment devenu qu'une arme?

Avec une douceur qu'il ne manifestait plus que lors de ses discours de manipulation, il laissa ses mains parcourir son corps, le découvrir. Pour la première fois, il en prenait conscience, la force et la forme de ses muscles, leur beauté. La sensibilité de sa peau. Les frissons de son bas ventre iradiant tout son être.
Seul dans cette pièce obscure, Shindaal renoua avec le désir et le plaisir. Ses mains, instruments de mémoire, retrouvèrent les mouvements qui arrachent à la chair d'un homme des spasmes inimitables. D'un souffle puissant il aspirait ses drogues et son extase.

Le soleil martelait de ses rais le roc de l'Etoc. Le parfum des fleurs de Melyth saturait l'air au dehors. La lumière brûlante violait tendrement l'intimité des vitraux du premier étage. Le soleil caressait la peau sombre d'un kélari écroulé devant son miroir.
Cette nuit ne fut hantée par aucun cauchemar mais le réveil du Gardien eut peine à museler l'homme hurlant en son sein. La honte du pêcheur ne pouvait être contenue et pourtant, la volonté du brave allait lutter.