[Journal] Silwenne Aelfwine

Tout est blanc, immaculé, d'une grande clarté. Je me sens bien, en sécurité et sereine. Je suis prête. Des âmes m'entourent, elle sont venues m'accompagner, me dire au revoir, car c'est un au revoir et non un adieu. Je le sais en fond de moi, nous le savons tous : le cycle perpétuel se poursuit, inlassablement, immuable depuis le début des temps et, probablement, éternellement. Je suis une âme également, d'ailleurs je n'ai pas de corps. Je suis une pensée. Non... Je suis une demi-pensée, car nous allons toujours pas deux, et mon autre moitié, mon âme sœur, est déjà partie pour la suite de son voyage. Nous nous retrouverons peut-être... Peut-être pas cette fois là. Cela n'a pas d'importance mais il est toujours plus agréable de partager ce battement de cil du temps en compagnie de nôtre autre.

Un souvenir me revient et me fait sourire : lorsque mon âme sœur n'était ni une femme ni un homme... Mais un chat. C'était assez drôle car nous ne sommes pas censés nous incarner dans des animaux. Nous ne nous quittions jamais. Elle avait pesté longtemps après cela, se plaignant de n'avoir pas pu profiter pleinement de la chance que nous avions eues d'être réunies. Il arrive souvent que l'on passe à côté lors d'une vie aussi brève mais il faut reconnaître qu'il est difficile de se trouver parmi des millions de gens. Heureusement que nous pouvions sentir ce lien unique dans tout l'univers lorsque nous étions à proximité l'une de l'autre. Deux âmes sœurs qui se retrouvent... C'est un don précieux. Mon voyage commence.

Je suis comme une étoile filante, une comète. Je fend l'espace et le temps tel un dauphin se joue des courants, sautant par dessus l'écume des vagues. Je virevolte, libre, si libre... Le silence m'enveloppe comme un cocon douillet. Je vais si vite que rien ne semble pouvoir arrêter ma course folle à travers l'univers. Je sais où je vais... Plus véloce que la pensée et la lumière réunies. Je ne suis pas seule. Personne ne l'est. L'univers n'est pas un immense vide infini. Il est remplit, il déborde de vie mais, peut-être pas au sens où les mortels l'entendent. Tout est en mouvement, perpétuellement. Tout change et se transforme sans cesse.

J'aperçois enfin ma destination. C'est d'abord un simple petit point perdu, un grain de sable au milieu d'un désert. Mais ce point est une oasis qui grossit rapidement à mesure que je m'approche. Elle est d'un bleu magnifique et déjà je peux distinguer des continents. Je commence à freiner ma course en pénétrant dans l'atmosphère mais, comme je suis immatérielle, je ne laisse rien sur mon passage. Pas de glace, pas de morceau de roche, aucune flamme. Simplement la pensée d'un pur Esprit totalement silencieuse. La résistance de l'air ne peut me ralentir et je fonce vers le sol qui se rapproche vertigineusement. Mon but est là devant moi...

Je me suis arrêtée et je flotte à présent au dessus d'une clairière. Une petite fille va naitre d'une seconde à l'autre dans ce monde qui ne compte encore que très peu d'âmes tant il est jeune. Je vois ses parents, mes parents, seuls dans la nature hostile entrain de me mettre au monde.

Le moment est arrivé, la venue de l'enfant ne va plus tarder et... D'ailleurs la voici. Je me glisse à présent dans ce petit corps qui est fait pour moi et je retrouve déjà les sensations de la vie. Je sais que cela ne durera pas. Déjà mes souvenirs s'effacent, il en va toujours ainsi afin que nous puissions avoir une enfance comme les autres sans que nous passions pour des monstres ou des fous... Ou pire encore. Je n'ai jamais vraiment su pourquoi j'avais la faculté de retrouver la totalité de ma mémoire passée une fois l'âge de la puberté révolu. Mais je ne suis pas la seule âme ainsi. Il y en a d'autres, même si ce phénomène est extrêmement rare.

Je sens que des mains me prennent mais je ne vois pas bien, ma vision est trouble... Je ne me suis jamais servi de mes yeux avant. On me dépose à présent sur un corps doux et chaud. J'aime son odeur, elle m'apaise, j'écoute les battements de son cœur... C'est maman.

Le premier âge se poursuit.

On frappa à la porte de la chambre et elle s'entrouvrit légèrement.

- Silwenne ? Je peux entrer ?
- Bien sur, entre !
- Tu es décemment visible ?
- Pff... Entre donc et tu verra !

Des mèches mauves apparurent, puis une tête. Prudemment, Elune vérifia dans quelle tenue était Silwenne avant d'entrer, habituée à l'impudeur de la jeune femme. Elle la vit devant un miroir psyché entrain d'apporter la dernière touche à sa tenue. Ses longs cheveux de jais n'étaient pas encore attachés en ce chignon un peu rebelle qu'elle arborait le plus souvent et ils coulaient en cascade ondulée jusqu'à ses reins. Elle était pieds nus, comme à son habitude, une paire d'escarpins blancs à coté du miroir. Rassurée, Elune entra en refermant derrière elle. Elle paraissait très anxieuse, vêtue d'une robe de mariée en soie blanche incrustée de fils d'or reproduisant de fins motifs. Silwenne en portait une version plus simple, sans dentelles ni voile. Ecartant les bras en se mordant la lèvre elle demanda.

- Comment tu me trouves ?

Silwenne resta sans voix un moment, admirant Elune dans les moindres détails.

- Tu es... Magnifique, lâchât-elle enfin.
- Vraiment ? Fit-elle d'un ton sceptique.

Elune laissa retomber ses bras le long du corps et se regarda.

- En plus je suis grosse la dedans...
- Mais non... fit Silwenne en souriant. Tu es superbe.
- Bon, d'accord...
- Et moi ? Demanda Silwenne en tournant sur elle même. Comment je suis ?
- Tu es rayonnante, resplendissante, comme toujours.

Silwenne s'approcha d'Elune d'un pas léger et sautillant et l'enlaça, un adorable sourire aux lèvres.

- Tu es nerveuse ? Demanda-t-elle.

Elune répondit d'un rapide hochement de tête.

- Moi aussi, fit Silwenne, l'air surexcitée.
- Je me sens si angoissée !
- Evidement ! Comment pourrait il en être autrement un jour comme celui-ci ? Moi non plus je suis ne suis pas très à mon aise, crois-moi !
- C'est vrai que ta place n'est pas plus à envier que la mienne.

Silwenne resserra son étreinte pour se coller à Elune, se hissant sur la pointe des pieds pour compenser la hauteur des talons hauts de cette dernière. Les joues d'Elune prirent une teinte un peu plus pourpre encore.

- Il faut te détendre. Tout se passera bien, tu verra, dit-elle d'une voix suave.
- Oui, tu... Tu as raison.

N'y tenant plus, Silwenne vint sceller leurs lèvres en un voluptueux baiser qui lui sembla bien trop court. Elune recula son visage, un air de panique dans le regard.

- Tu es folle ! Et si quelqu'un entrait ?
- Hé bien quoi ? J'ai bien le droit d'embrasser la mariée, non ? Dit-elle malicieusement.
- Ça t'amuse de tourner les traditions comme ça t'arrange, fit Elune amusée.
- Les règles sont faites pour être enfreintes, c'est comme cela qu'on apprend.
- Moui...

Silwenne fixa Elune, l'air tout d'un coup très sérieux.

- Tu es certaine que c'est ce que tu veux ? Tu as le droit de changer d'avis... Nous pouvons encore tout annuler.
- Oui, c'est ce que je veux... Je crois.
- Bien.
- Mais, quoi qu'il arrive, cela ne changera rien de ce que je ressent pour toi. Mariée ou non, je t'aime plus que je ne saurait l'exprimer.
- Je t'aime aussi, mon amour... murmura Silwenne.
- C'est bientôt l'heure, nous ferions mieux d'y aller avant qu'on vienne nous chercher...

La jeune femme brune relâchât Elune non sans regret et arrangeât la robe de celle-ci. Elune alla jusqu'à la porte et, alors qu'elle s'apprêtait à l'ouvrir pendant que Silwenne enfilait ses escarpins, celle-ci l'arrêta.

- Attends !
- Qu'y a-t-il ?

Elune resta figée, une main sur la poignée, comme si l'injonction l'avait pétrifiée instantanément. Silwenne s'approcha d'elle et passa une belle fleur blanche dans la chevelure mauve avant de baisser le voile devant son visage.

- La petite touche Sil', dit-elle avec un sourire en coin. Maintenant tu es prête pour le grand saut.

Elles sortirent de la maison et se dirigèrent vers le fond du jardin où attendaient la prêtresse et tous les invités. Elles s'avancèrent dans l'allée menant à l'autel pour s'arrêter devant la prêtresse qui les accueillit avec un sourire bienveillant. Elune prit la place réservée à la mariée et Silwenne... Celle de la demoiselle d'honneur...

Quand je suis avec toi

Quand je suis avec toi
Je me sens comme chez moi,
Tous mes doutes s'envolent
Et mon cœur, lui, s'affole.

Quand je suis avec toi
Tout est possible encore,
Mon âme est aux abois,
J'abandonne mon corps.

Quand je suis avec toi
Je me sens libérée,
Soulagée de ce poids,
Des fantômes du passé.

Quand je suis avec toi
Je voudrai t'embrasser,
Te serrer dans mes bras
Pour un million d'années.

Quand je suis avec toi
Je me sens pardonnée,
La page est tournée,
C'est en nous que j'ai Foi.

Quand je suis avec toi
Je redevient étoile,
Tu changes l'eau en feu,
Tu éclaires mes cieux.

Quand je suis avec toi,
Je me sens troubadour
Et t'offre ces mots là
Pour chanter mon amour.