[BG] Elysh, La nuit de la flamme.

Pyrkaris... Voila le cri qui avait déchiré la nuit, voila le son funeste qui avait sonné le glas des Kelaris de l'île de braise. Les nouveaux esprits avec lesquels nous avions formés des pactes nous avaient trahis, et comme si nous détruire ne suffisait pas, les serviteurs du dragon de flamme avaient jugés utile de changer chacun des nôtres tombés au combat en abominations élémentaires... En Pyrkaris...
Nous étions perdus... Je le savais... Et pourtant j'étais là, recrocquevillée contre l'autel du temple, tremblant de tout mon être alors que mon père et mon frère, armés de simples crosses de bois encadraient la porte. La fixant anxieusement dans l'attente du moment inévitable où nos anciens frères, désormais avides de notre sang en jailliraient.
Chaque recoin de ténèbres était empli du son des flammes hurlantes striant le ciel et s'abattant sur nos maisons en nuages de poussières ardentes. Où que j'aille, où que j'essaie de porter mon attention il m'était impossible d'échapper à ce son, pas plus qu'au concert de cris de terreurs et d'agonie qui nous parvenait de l'extérieur.
L'ancien du village qui s'était réfugié derrière un banc se releva lentement, sa longue barbe blanche lui fouettant les genoux, pour aller se porter près de mon père d'un pas mal assuré.
« Co... comment ça se présente Valnir...? Demanda l'ancêtre d'une voix chevrottante.
-Mal... » Répondit le grand Kelari, ses cheveux de jais qui lui tombaient d'ordinaire en cascade soyeuse jusqu'au bas du dos étaient entremêlés en un amas crasseux de noeuds rêches tandis que ses yeux de rubis fixaient anxieusement l'extérieur au travers d'un interstice.
« Si Atia ne nous envoie pas d'aide... je doute que nous passions la nuit...
-Vous... vous pensez que... » Valnir hocha gravement de la tête en resserrant sa prise sur la crosse de bois.
« C'est toute l'île qui s'embrase Khellon... » L'ancien baissa les yeux, son regard se voilant alors que ses lèvres s'agitaient légèrement, suivant le fil muet de ses pensées.
Des murmures se firent entendre depuis le fond de la nef alors que les quelques réfugiés ayant réussi à se frayer un chemin dans la tourmente s'agitaient.
« Tout ça c'est de la faute des Selden... Lança une femme.
-On aurait jamais dû faire confiance à cette engeance, il ne nous ont jamais apporté que des ennuis... dit une autre. »
Je les écoutais en ramenant les genoux contre ma poitrine, n'importe-qui aurait certainement réagi... Leur aurait signifié que ce n'était pas le moment de se lancer des reproches au visage, mais moi je n'en avais pas la force. Après tout ce n'était pas comme si près d'un millénaire de ressentiment à l'égard de mon clan allait disparaître en une nuit, quand bien même il s'agirait de l'apocalypse...
J'en arrivais au point où je souhaitais disparaître lorsqu'une main se posa sur mon épaule, m'arrachant un sursaut.
« Chhh... du calme Ely...
-D-Doran...?
-Oui... »
Je relevais les yeux sur mon frère en tremblant de plus belle, cherchant une lueur de réconfort dans ce regard carmin qui ne m'avait jamais quitté. Mais point de réconfort ici-bas... Bien qu'il tentât de le dissimuler je le connaissais mieux que personne, Doran était en ce moment aussi perdu et effrayé que moi.
Lui qui ne cédait jamais à la panique, lui que l'on surnommait « Ciel d'été » tant il était serein, le roc sur lequel je m'étais toujours appuyée était en train de se fissurer sous mes yeux.
Chaque nouvelle lézarde dans ce monument de calme et de tempérance me faisait l'effet d'un coup de poignard, me plongeant plus avant encore dans le désarroi tandis que ma vision se brouillait, un étau perfide resserrant doucement son étreinte sur ma poitrine.
« On va... On va tous mourir pas vrai...? Lâchais-je d'une voix éteinte alors qu'une larme venait couler le long de ma joue.
-Non, bien sûr que non... Pourquoi tu dis ça? »
N'y tenant plus je venais me réfugier dans ses bras, enfouissant le visage dans son cou en sanglotant, c'était la fin, je le savais parfaitement, comment pouvait-il en être autrement alors que le monde s'effondrait autour de nous?
« Il en est hors de question! Tonna Valnir
-Nous n'avons plus le choix! Les Yllisis n'ont pas donné signe de vie Valnir! C'est aux Selden de nous défendre! Il faut libérer le père de la nuit!
-As-tu oublié ce qu'il s'est passé la dernière fois?! As-tu oublié ce qu'il est advenu d'Aldorya?! De ma femme?!
-C'est on ne peut plus regrettable et je compatis à ta douleur! Mais il s'agit d'un cas de force majeure et je ne te demandes pas ton avis! »
Les deux hommes se fixèrent longuement pour finalement se détourner l'un de l'autre lorsque la tension devint insoutenable.
« A ta guise Khellon... Mais ne compte pas sur moi pour lever la Sombreflamme... Je ne prendrais pas part à ta folie... » Finit par lâcher Valnir en allant se terrer dans un coin d'un air résigné.
Les bras de Doran se crispèrent dans mon dos, je n'avais aucune idée de ce dont ils parlaient, toutefois une chose était sûre, il ne s'agissait en aucun cas de bonnes nouvelles.
« S'il vous plaît... Réfléchissez... Vous avez peur, nous avons tous peur... Dit mon frère en resserrant encore son étreinte. Mais vous êtes sur le point de commettre une énorme erreur... »
Les réfugiés se levaient les uns après les autres, s'assemblant autour de nous alors que l'ancien s'approchait pesamment.
« Le père de la nuit ne vous écoutera pas... Il... il est totalement incontrôlable!
-Lâchez-la Doran... L'intima Khellon alors que les réfugiés se rapprochaient lentement.
-Je ne peux pas vous laisser faire ça! Vous n'avez aucune idée de ce que vous êtes sur le point de déchaîner! Je refuse de... »
Doran n'eut pas le temps de finir sa phrase que ses bras se raidissaient sur moi pour se décontracter soudainement alors qu'il chutait au sol.
« G-grand frère...? » L'appelais-je d'une voix éteinte, essayant tant bien que mal de réprimer les sanglots montants de nouveau en moi.
« Maintenez la... » Ordonna l'ancien aux réfugiés qui n'eut guère à attendre qu'une poignée de secondes pour qu'une paire de bras se referment sur moi et me plaquent au sol.
« Que... qu'est-ce que vous faites?! » Lançais-je d'une voix paniquée, l'étau se resserrant encore un peu plus sur ma poitrine tandis que l'ancien déchirais ma tunique pour exposer mon dos.
J'essayais de me débattre, la terreur s'emparant de moi, luttant de toutes mes maigres forces pour tenter d'échapper à mes tortionnaires, ruant et criant.
Le seul résultat que j'obtins fût un coup de pieds dans les côtes assorti d'une insulte sans réussir à leur faire lâcher prise le moins du monde.
Aussi est-ce le coeur battant à tout rompre et le flanc vrillé par la douleur que je fus contrainte de prendre mon mal en patience.
Une main glaciale et décharnée se posa entre mes omoplates, m'arrachant un frémissement de surprise.
« Arrêtez ça... je vous en prie arrêtez ça... j'ai peur... » Les suppliais-je alors que la paume de la main se mettait à vibrer d'énergie. « Je... je vous en prie... je veux pas... » Les vibrations s'intensifiaient lentement, se répandant au travers de mon être, courant le long de mes os jusqu'à les faire trembler.
« Non... Non!! » Hurlais-je alors que mon dos me semblait s'embraser, ce que semblait confirmer un cri de stupeur dans l'assistance, sans que mes agresseurs ne flanchent pour autant.
« Khellon... c'est dangereux... vous feriez mieux de...
-La ferme! Je sais ce que je fais! Gronda l'ancien en accentuant la pression de sa main sur mon dos. S'ils refusent de lever la Sombreflamme... Je le ferais moi-même! » Tonna-t-il alors que je sentais ses doigts crochus et effilés s'enfoncer et se reployer dans ma chair, m'arrachant un hurlement de douleur terrible.
Soudain l'univers tout entier me sembla basculer autour de moi alors que je m'effondrais sur le dallage glacé du temple, est-ce que l'on m'avait enfin lâché? Je n'aurais su le dire, tout était si obscur.
Où que mon regard se portait il ne trouvait que ténèbres, était-ce là réellement le temple? J'essayais de me redresser pour me rendre compte rapidement que mes dernières forces m'avaient abandonnées.
C'est alors qu'une pensée insoutenable vint m'assaillir, j'étais seule... absolument seule et sans défenses dans l'obscurité, seule à la merci des...
Mon coeur sauta un battement, les Pyrkaris... Je ne les entendais plus... Pas plus que le son des rocs enflammés parcourant le ciel ou encore les cris de douleur. C'était comme si... comme si je m'étais trouvée rejetée dans le néant, dans une abîme plénier et absolu où nul ne pouvait pénétrer.
Aussi curieux que cela puisse paraître cette idée avait quelque chose de réconfortant, j'étais certes seule, mais cela signifiait également que je ne pouvais être en danger...
Oui! Puisqu'il n y avait que moi ici, personne ne pourrait me faire de mal! N'est-ce pas?
Toutefois je n'eut guère le temps de me réjouir plus avant que les ténèbres environnantes s'agitaient imperceptiblement, comme si quelqu'un y avait jeté un caillou, les déformant en fines ridules.
Je sentais une nouvelle vague d'effroi monter en moi lorsque les chuchotements me parvinrent.
« Je t'attendais... toujours... Toujours attendu...
-Qu-qui êtes-vous...?
-Qu-qui êtes-vous...? Reprirent les murmures en écho moqueurs.
-C'est... c'est pas drôle...
-C'est... c'est pas drôle...
-Arrêtez... s'il vous plaît...
-Arrêtez... s'il vous plaît...
-Arrêtez ça!! »
Les chuchotements s'interrompirent brusquement tandis que les ombres alentours semblaient se contracter. Je tendais anxieusement l'oreille dans l'attente d'une réponse qui ne venait pas, je ne saurais dire combien de temps je restais ainsi, pantin pris de mutisme bercée au coeur d'un silence assourdissant.
Finalement au bout de quelques secondes... heures... jours... semaines... mois... ou bien étaient-ce des années, les ténèbres se contractèrent au rythme d'une voix gutturale.
« Il est encore tôt... »
Je n'osais répondre immédiatement, le coeur me semblant battre dans tout mon corps, crispée à l'extrême.
« Trop... trop tôt pour quoi...? Demandais-je d'une voix presque inaudible tant elle était éteinte.
-Trop tôt... trop tôt pour l'union...
-L'union...? »
Une étincelle de lumière me vrilla la rétine, m'arrachant un nouveau cri de surprise, alors qu'un tourbillon s'ouvrait lentement dans la trame ténébreuse me faisant face. J'essayais de détourner les yeux, la terreur s'insinuant en chaque parcelle de mon être lorsqu'une voix familière vint résonner à mes oreilles.
« ...truisez les et nous vous libérerons... »
Mon sang me fit l'impression de se figer dans mes veines alors que mon regard se portait sur le vieux Kelari se tenant au centre du tourbillon.
« Pourquoi... pourquoi est-ce que je vous obéirais...?
-Parce que s'ils nous tuent ils tueront également la matriarche. »
Khellon... c'était bien Khellon... Mais... l'autre voix... ce n'était pas possible elle venait de l'entendre, comment pouvait-elle être ici et là-bas... à moins que... non c'était totalement impossible!
La tête où ce qui devait m'en faire office se mit à tourner alors que je baissais les yeux pour me rendre compte avec horreur que je n'avais plus de corps.
« Il n y a pas... de Matriarche... Cette hôte est... encore immature...
-Et elle n'arrivera jamais à maturité si les Pyrkaris nous mettent la main dessus. » La voix de Khellon était montée d'un cran, la tension et la nervosité y étant palpables.
L'entité qui habitait désormais mon corps marqua une pause, les ombres semblant se resserrer autour de moi. Je sentais sa contrariété... à moins que cela ne soit de la colère... ou bien de la haine? Tout était si confus...
« Silderik! La pression alentour se relâcha.
-Je ne vous autorise pas... à utiliser ce nom... Une menace latente se faisait sentir dans la voix.
-Très... très bien... Père de la nuit... considérez que... si vous nous aidez maintenant... eh bien nous vous offrirons l'hôte lorsqu'elle sera en âge de devenir matriarche. »
Le père de la nuit marqua une nouvelle pause, cependant ce n'est pas de colère que s'agitèrent les ombres cette fois-ci, mais d'un sentiment étrange s'apparentant à de la satisfaction...
« J'accepte le marché vieillard... A l'orée de son soixantième anniversaire la nuit tombera sur l'âme de l'enfant des Selden pour laisser place à mon règne sans partage.
-Le... le pacte est scellé... »
A peine Khellon eut-il prononcé ces mots que des cris de douleur étouffés se mettaient à résonner dans le temple, la face de l'ancien se tordant en un masque de souffrance alors qu'il tombait à genoux.
« Que... que faites-vous...? » Lâcha-t-il dans un souffle, au supplice.
« Je vous sauve... de vous-même...
-Qu-quoi?!
-Les Pyrkaris... ce sont vos frères relevés sans âmes... des aberrations... de véritables insultes à mon pouvoir...
-Votre... pouvoir...? Demanda l'ancêtre alors qu'il commençait à suffoquer, les cris de douleur alentours se muant en râles d'agonie.
-Oui... Mais n'ayez crainte... Je vous laisserais vos âmes... Car je suis bon... »
Une expression de terreur la plus absolue se plaqua sur le visage de Khellon alors qu'il s'effondrait au sol, un mince filet de sang s'échappant de ses yeux en larmes écarlates.
Si je n'avais été un pur esprit en cet instant le contenu de mon estomac se serait répandu sur le parterre tant ce spectacle me fit horreur. Mais voilà que j'étais prisonnière de mon propre corps, contrainte à observer, sans autre choix que de me résigner alors qu'un rire malsain venait me vriller le crâne tandis que les corps des réfugiés se relevaient à la façon de pantins désarticulés pour s'élancer vers l'extérieur en lançant des chuintements bestiaux.
Je me sentais défaillir lorsque le tourbillon s'évanouit dans les ténèbres pour laisser place à une silhouette indistincte autour de laquelle les ombres s'agglutinaient.
Et c'est alors que je le vis... Et je suis sûre qu'il me souriait... Qu'il me souriait comme un gosse sadique pendant que je sombrais dans l'inconscience...

« Terre en vue!! » Hurla la vigie alors que le bateau se rapprochait de la côte.
A ce cri le capitaine Harlan prit le parti de s'extraire de sa cabine en grommelant contre sa panse plus encombrante chaque jour. Il y parvint finalement dans un chapelet d'injures lorsqu'un jeune mousse vint l'alpaguer.
« Capitaine capitaine! Le jeune loup de mer avait l'air complètement paniqué.
-Quoi encore bordel de merde?! Rugit l'Eth.
-Euh... s't'a dire... Enfin... En fait... Euh... B'jour m'sieur.. M'capitaine j'veux dire.
-Accouche bougre de crétin!!!
-O-o-o-oui m'capitaine! S'la réfugiée... l'a... l'a comment dire... »
Harlan, exaspéré par le jeune mousse, se saisit de son gourdin en chêne massif, le brandissant d'un air menaçant.
« Tu vas parler corniaud d'mes deux!!! Tonna-t-il, une grosse veine venant palpiter dans son cou.
-Eh bah... elle... elle a... le cadavre... fin'... Elle l'a décadavé... Fin' Y marche!! »
Le capitaine ouvrit grand l'oeil, essayant de démêler le charabia absurde du matelot pour finalement abaisser sa badine.
« C'que tu veux dire par là matelot?
-Bah... Le squelette de... Fin' son... son frangin qu'elle disait... Bah il marche... et... et il a même filé un coup d'main au banc d'nage... »
Harlan en resta bouche-bée.
« T'foutrais pas un peu d'ma mouille par hasard?
-N-non j'ôserais pas m'capitaine!
-Bon... dégages... j'vais voir ça par moi-même...
-Oui m'capitaine! » Lança le jeune loup de mer avant de décamper sans demander son reste.
Un mort vivant sur son bateau? Le Capitaine avait du mal à y croire, aussi se mit-il à marcher en direction du pont aussi vite que ses jambes arquées et sa bedaine le lui permettaient, il touchait au but lorsqu'un mousse enveloppé dans un long manteau en loques le heurta.
« R'garde donc où que tu vas s'pèce de glandu d'mes... » Le reste de sa phrase s'étouffa dans son gosier alors que relevant les yeux sur l'individu lui faisant face Harlan réalisa qu'il s'agissait du squelette en question.
Le capitaine détailla la créature, hormis le manteau en loque elle était vêtue d'un pantalon de la même matière, de bottes et... d'un bandana, ce détail ne manqua pas d'interpeller Harlan. Il se préparait d'ailleurs à demander à la créature si c'était parce qu'elle était frileuse lorsqu'une petite Kelari déboula à la suite du sac d'os.
« D-désolée monsieur le capitaine... » Dit-elle d'une petite voix en se fendant d'une révérence.
« Doran voulait... enfin... il voulait juste voir le... enfin le... le refuge...
-Pas d'mal... »
La nécromancienne saisit le bras de son compagnon squelettique puis l'attira vers le bastingage où ils s'accoudèrent pour fixer les terres se dessinant au loin.
C'était la première fois de sa vie qu'Harlan rencontrait une nécromancienne, qui plus est une aussi enfantine, toutefois il l'évoquerait à de nombreuses reprises lors de soirées arrosées dans chaque port où il s'arrêterait...

Nous fixions la côte nous faisant face avec tout l'espoir qu'il nous était permis de conserver après ce que nous avions vécu. Les renégats appelaient cette région Libremarche, un nom approprié pour un nouveau départ.
Un lieu approprié pour oublier...
C'est ainsi que commença notre histoire sur ces terres...