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Message  Pazu Lun 20 Fév - 15:40

J'vais pas faire un background complet, je prèfere qu'on voit en jeu pour les détails/secrets/points historiques etc du personnage. Néanmoins, d'un point de vue de cohérence, j'vais mettre un certain nombre d'infos, soit acquises pour "en jeu" les membres de la guilde qui le connaissent, soit qu'il est facile d'apprendre par la rumeur ou une rapide enquête.



Une description générale:

Pazu parait gauche et déguingandé. Ses traits oscillent entre la grâce de l'enfance et la rudesse de l'adolescence. Il semble sur le qui-vive, prompt à fuir, préfère courir que marcher, affiche tantôt une nonchalance ostentatoire, tantôt une nervosité palpable. Il a très souvent l'habitude de rentrer son menton dans le col de son écharpe. On le dit souvent lunaire et rêveur, incapable de fixer son attention, de sorte qu'on ne sait jamais vraiment s'il plaisante ou pas ou s'il comprend ce qu'on lui raconte, au fil des conversations. Ses cheveux sombres encadrent un regard d'un bleu presque délavé qui tire vers le gris sur les contours de l'iris. Il porte rarement l'armure et lui préfère d'amples vêtements de gros coton blanc, achetés à bas prix sur les marchés de Rivage de Fortune. Le garçon est tout de même d'un abord facile, pour peu qu'on le mette en confiance. Quand on discute quelques minutes, on s'apperçoit très vite qu'il se reprend sans cesse, corrigeant son langage, comme si on lui soufflait à l'oreille la bonne formule. On a parfois l'impression qu'il récite une leçon quand il se prend à saluer ou utiliser quelques us de politesse élémentaire.



"C'est un chat sauvage, celui là, quand il est pas en bataille! Il disparait tout le jour, revient quand il a faim et qu'il vous prenne pas l'envie de lui mettre la main dessus, quand il se met à courir, c'est comme s'il avait les plans eux même aux fesses! Parait qu'il traîne souvent à Atia, il y en a qui disent qu'il préfère la compagnie des esprits que des hommes, vous l'y trouverez sans doute, à parler tout seul. Il est un peu bizarre mais c'est un brave gamin et avec le temps, on s'habitue."
L'aide cuistot de la troupe

" Combien se sont fait avoir, de toute façon? Moi, j'vous dis, ce gosse est pas plus bête que vous ou moi. Il a compris qu'il pouvait tirer parti de ses mauvaises manières et de sa gueule d'ange tombé du ciel. Naif? Ignare? Mon cul; oui, croyez le si ça vous chante. On parle plus facilement à quelqu'un qu'on juge incapable de comprendre et celui là, ses oreilles, moi je vous l'dis, il les a bien ouvertes!"
Anonyme

"Je ne comprend même pas que notre chef emmène en bataille un garçon aussi jeune. Je sais bien que les temps sont difficiles et que la guerre n'épargne personne mais tout de même! Il pourrait rester aux cantines ou à l'intendance, on a toujours besoin de bras pour faire vivre le camp! D'ailleurs, je m'en vais dire de ce pas deux mots à l'économat, il y a pénurie de malt et le moral des troupes baisse!"
Une cantinière



Concernant l'intégration dans la guilde "sang antique":

"ça remonte aux premiers froids d'automne, y'a quelques mois. Une bande de bandits sévissant à Libremarche a été mise à mal par un groupe d'Elus ivres de justice. Les coquins avaient lancé l'attaque sur un village excentré de Meridian, sans se douter qu'un groupe bien armé les attendait là bas. Quelques uns des malandrins parvinrent à fuir, deux d'entres eux passèrent par le fil de l'épée. Le plus jeune, qui avait les meilleurs jambes pourtant, il est resté avec ses comparses et l'a été épargné parce qu'il les a fait rires ces héros là, à agiter sa dague comme un damné! L'ont rossé d'importance et l'ont laissé pour mort sur le bas côté. Avec l'avant garde, on est passé par là peu de temps après, on descendait vers Saillant de Lanterne pour préparer une manoeuvre. Un hasard, somme toute. On l'a ramassé, il s'est remis fort vite. Je comprendrais jamais pourquoi il a pas réussi à se défaire de ses assaillants ce jour là alors qu'on l'a vu deux mois plus tard se lancer à corps perdu dans une bataille autrement plus âpres que quelques villageois armés de fourches et trois Elus justiciers. Une officine à Meridian a fait rechercher la bande de malandrins mais notre chef a de l'influence, voyez vous et il a sans doute couvert le garçon. Quoi qu'il en soit, on pensait qu'il se ferait la malle une fois remis mais il est resté contre toute attente."
Un éclaireur de la troupe



Concernant son implication au combat:

On l'a vu en bataille, donner des ordres de combat, coordonner des mouvements stratégiques, tenir des passes ou contenir le gros des forces ennemis à grands renforts d'arcanes et de magie. On l'a vu aussi rire en plein combat comme s'il jouait ou rêvait les victoires qu'il s'offre avec ses frères d'armes.
Le sujet les met d'ailleurs mal à l'aise, on en parle pas vraiment, surtout pas aux gens extérieurs à la guilde. Il n'y a sans doute qu'Aradoce qui connait le fin mot de l'histoire.



Concernant sa famille:

On sait que son père s'appelait Jald, avait laissé son enfant et sa femme Sythil au port de Rivage de Fortune. "Parti chercher d'quoi laver son nom" a dit-il un jour Pazu, après qu'on l'ait fait boire un coup de trop. Sa mère a subvenu difficilement à leurs besoins, il n'y avait alors qu'une toute petite communauté de réfugiés kelari dans la ville. Le garçon a grandi avec les gamins eths, dans les rues. Nourri aux contes d'une grand mère d'adoption, il connait de nombreux rites et us kelari bien qu'il n'en fasse pas usage. Il raconte souvent que de grandes tempêtes de sables, "aussi haute qu'une montagne et roulant comme une vague" s'abattaient régulièrement sur la ville et que celle ci avait l'habitude de se replier vers les hauteurs de sables chatoyants, dans des habitations troglodytes. (qu'il n'a d'ailleurs pas réussi à retrouver)
Il dira aussi avoir été malade et que, faute d'avoir de médecine compétente, il a été séparé de sa famille pour être soigné dans une grande ville.
A son réveil et rétablissement, selon ses propres mots, quand il est revenu à Rivage de Fortune, "seul le soleil n'avait pas changé".
Livré à lui même, il retourna aux "grandes villes", chercha quelques informations et finit par intégrer une bande de brigands qui l’achetèrent sans doute, avec un sourire et la promesse d'un havre sur.

Actuellement:
Porte étendard du clan, il semble avoir gagné en maturité et en assurance. Il dirige désormais les troupes, en espérant que son chef Aradoce revienne de ses quêtes personnelles. A la fois ami et conseiller, Shindaal l'épaule dans sa nouvelle tâche.


-------------------

Anecdote: Libremarche, été

- Mais j'suis l'bandit l'plus fameux d'Rivage de Fortune! J'suis des vôtres, comme on dit, pourquoi vous m'...

Le jeune kélari éternua bruyamment et rapprocha ses paumes du feu de camp.

- Croyez pas? finit-il en frissonnant, Allons, vous autres, z'avez surement entendu parler d'moi!

- Jamais. Et j'en reviens, de Rivage, la saison dernière. Mon frère, une honnête âme s'il en est, y tient un commerce sur les docks, répondit un homme au teint halé par le soleil et l'alcool; M'est avis, bonhomme, que tu nous racontes de drôles d'histoires!

- Laisse-le, Chef, murmura une jeune femme en posant sur l'épaule de celui-ci une main amicale, c'est la fièvre qui lui fait danser les ombres. Quand on l'a trouvé au matin près du domaine de Todrin, il délirait tout son comptant.

- Et notre réputation? s'indigna-t-il tout en surveillant d'un oeil leur hôte improvisé; Voleur de volailles, passe encore... Meilleurs fuyards du pays, je veux bien, j'ai les guibolles de mes vingts ans et la survie tenace... Mais si l'on apprend que la bande ramasse les gamins errants, c'est fini! Bientôt les convois d'marchandises vont s'esclaffer en nous voyant tirer le fer et s'payer un détour par les chemins de traverse pour l'attraction! Non, à d'autres!

Le chef se leva d'un coup et fondit sur le jeune garçon comme un corbeau sur sa proie. Il l'attrapa par l'épaule pour le relever et plongea son regard ombrageux dans les yeux clairs du kélari.

- Tu fuis quoi, petit? Le père d'une donzelle? Ta propre mère? La justice? A quels genres d'problèmes j'expose mes gars en tolérant ta présence ici?

- Des... fantômes, souffla tristement l’intéressé en essayant vainement de se dégager, y marchent dans mon dos tout le jour, y veulent pas partir, je...

Un troisième bandit de fortune déglutit et chercha nerveusement quelques charmes dans ses sacoches. La jeune femme, perplexe, scruta néanmoins les abords du camp. Le chef, aux humeurs aussi vives que changeantes, se détendit d'un seul coup et, au terme d'un long silence, partit d'un franc éclat de rire.

- Y'a des fantômes que pour ceux qui y croient, bonhomme. Allez, laisses les derrière, tes spectres, t'as qu'à pas regarder par dessus l'épaule. A courir Libremarche de long en large sous le soleil, tu vas vite les perdre. Et pour la nuit, y'a rien de tel qu'un feu de camp pour les faire taire. Les fantômes, c'est toi qui les convoques, dans tes histoires à la veillée, c'est pas eux qui s'invitent! Y manquerait plus que ça que les morts viennent prendre le pas des vivants!

Il s’interrompit pour vider à grands traits le contenu d'une outre.

- On a besoin d'un guetteur, tu connais ton affaire, il paraît?

Le jeune kélari acquiesça promptement et reprit sa place près du feu, en esquivant maladroitement quelques bourrades de bienvenue.

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Message  Pazu Jeu 8 Mar - 22:08

Libremarche, été
Savina

Ses chausses de cavalier remontées jusqu'à mi-cuisse, la jeune femme entortillait sa chemise de toile d'une main tout en retenant ses longs cheveux bruns de l'autre. La rivière frappait mollement ses jambes tandis qu'elle assurait son équilibre en maugréant quelques imprécations. La mousse verte des roches luisait à la faveur du soleil estival. A plat ventre dans l'herbe grasse, aussi silencieux et léger que les indolents insectes des cours d'eau, le jeune kélari observait celle qu'il tenait désormais pour soeur d'infortune. Ses veines dessinaient à l'encre bleu sur sa peau trop blanche une cartographie complexe, des traces de vieilles morsures creusaient des sillons sur son aine tandis qu'une vilaine brûlure courrait de la naissance de ses seins jusqu'à sa gorge. Quiconque s'y attardait ouvrait un livre, tant elle portait son histoire à fleur de peau. Elle se mit à fredonner une vieille rengaine, qui semblait s'échapper du coin de ses lèvres sans qu'elle le désira.

- "Nous envolerons aussi haut
Qu'ces bordées d'oiseaux;
Tu disais
Toi qu'es parti n'oublie jamais
Qu'un peu de moi t'accompagnait
Ceux qui restent n'sauront pas
Que tes rêves t'appartenaient
Qu'il n'avait d'place pour moi
dans tes plaines azurées
Qu'mes souhaits eux, s'sont envolés,
Laissés à ton idéal pour mieux le protéger

Elle soupira et s'attela à nettoyer sa chemise dont les coutures usées craquaient aux coudes. Le garçon se raidit dans sa cachette. Incapable de détourner son attention durant le chant plaintif de la jeune femme, il cherchait désormais un moyen de se replier discrètement. Une récente averse rendait la manoeuvre difficile, les coteaux herbeux, gorgés d'eau de pluie semblaient traîtres à souhait. Savina chercha du regard sa ceinture d'arme, jetée un peu plus tôt sur la berge, et s'avança dans sa direction. Elle sortit de son fourreau une épée qui avait connu des jours meilleurs et la pointa vers l'onde. Prise d'un élan soudain, elle frappa d'un grand coup de taille et, fendant l'eau vive, se jeta en avant pour enchainer une botte complexe. Quelques oiseaux s'éparpillèrent, les araignées d'eau gagnèrent leurs refuges en glissant. Ponctuant ses attaques d'expirations rauques, la jeune femme luttait contre l'onde et un ennemi invisible. L'effort empourprait ses joues, collant bientôt ses mèches brunes sur son front. Des gerbes d'eau, brassées pas ses sauts et ses saccades, pétillaient au soleil.

- Encore! grogna-t-elle quand la fatigue prit le dessus et que ses jambes refusaient sans doute d'avancer un pas de plus.

Elle se jetta dans un dernier assaut et se laissa tomber sur un rocher moussu. Son épée gagna le fond de la rivière sans qu'elle fit un geste pour la retenir. Ses bras tremblaient et ses jambes semblaient ne plus pouvoir soutenir son poids. Elle se prit la tête entre ses mains et se mit à sangloter. Elle n'entendit même pas le kélari sautiller de pierre en pierre pour gagner sa hauteur.

- Devriez vous mettes quelque chose sur l'dos, j'ai entendu l'chef hurler sur l'gars tout maigre d'aller chercher d'l'eau à la rivière, marmonna Pazu en lui tendant les effets qu'elle avait laissé sur la berge.

Savina s'interromptit et dévisagea le garçon accroupit à son côté. Celui-ci détourna le regard, confus, tout en lui fourrant ses habits dans les bras.

- Qu'est ce que tu fais là, toi? demanda-t-elle au bout de quelques secondes
- Vous pleuriez comme une filllette, maugréa le kélari les sourcils froncés et le ton catégorique, un honnête homme n'fait pas pleurer une femme, n'devriez pas vous mett'e dans cette peine pour lui.

Savina se mit à rire.

- Tu croyais que je pleurais un amant?

Le kélari fit oui de la tête et plongea pour attraper l'épée dormant sur son lit de pierre. Il s'ébroua comme un jeune chiot, passa l'arme dans son fourreau en frissonant et la rendit à la jeune femme.

- Je maudissais mon impuissance, voila tout. Je ne suis pas une Elue, les blessures s'accumulent et me pèsent de jour en jour. Quoi que je fasse, quel que soit l'entrainement auquel je pourrai m'astreindre, je ne serai pas en mesure de rivaliser avec l'un d'entre eux, si le besoin s'en faisait sentir. Et toi, Pazu, c'est pareil. Ne cherche jamais un assaut frontal avec un Elu, fuis plutot! La mort n'a pas de prise sur eux et nos armes paraissent de bois lorsqu'elles rencontrent les leurs.
- Vous vous ètes deja battu cont' l'un d'eux?
- Une fois. Je ne dois mon salut qu'à l'intervention des autres, qui ont mis en déroute mon adversaire, grâce au surnombre.

Le jeune kélari tremblait désormais, comme si ce genre de propos convoquait toutes sortes d'images.

- La justice n'est pas la même pour eux que pour nous, continua Savina d'un ton redevenu plus calme, ils ne craignent rien, ou presque, du commun des mortels. Plains-toi de la déviance de l'un d'eux et l'on t'accusera d'ingratitude, de trahison! Ce sont nos héros, arrachés au repos du fleuve pour une dernière bataille. Des immortels, que nous devons assister du mieux que nous pouvons tandis qu'ils se taillent une route pour sauver le monde. La donne est ainsi. Quelque soit ta valeur ou ton courage, tu ne peux pas te battre à armes égales avec un Elu, Pazu. Pour certains, tu n'en as même pas le droit.
- A d'autres! répondit le jeune kélari en serrant les poings, j'n'l'ai laisserai pas vous faire pleurer! Vous dites qu'y ont tout c'est ça? Qu'nous valons moins qu'eux? Qu'y ont pas d'faiblesses? C'est ça?

Savina rajusta le col de sa chemise détrempée et sangla sa ceinture autour de sa taille. Elle hésita un instant et acquiesça, gravement.

- Alors z'etes dans l'erreur, répondit son petit compagnon en se redressant pour mieux happer son regard, y'a quelque chose qu'on a, qu'eux, y ont pas.

Il se passa la langue sur ses lêvres.

- L'prix d'la vie. Nous, on s'bat comme si chaque souffle était l'dernier, d'toutes nos forces, parce qu'la mort nous colle au dos; eux, cette force qu'y les arrache du sol, y l'ont perdue.

La jeune femme demeura silencieuse. Au loin, deux de leurs acolytes courraient vers la rivière en esquivant des seaux vides, poursuivis par leur chef qui les houspillait une fois de plus, le visage cramoisi. Les oiseaux regagnèrent leurs branches basses et les araignées d'eau, l'onde redevenu paisible.
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Message  Pazu Ven 9 Mar - 17:31

Libremarche, été


Hedrel

Toute sa vie, selon ses propres dires, n'avait été qu'une succession de courses. Romptu à sauter les haies mieux qu'un cheval rétif, il traversait un cours d'eau en trois pas sans se mouiller, tirait un oiseau d'une pierre à vingt et imitait à s'y méprendre la plupart des animaux des sous-bois. Il avait un rire désarmant, qui dévoilait une dentition un brin carnassière, les cheveux plus drus qu'une brassée de paille et les arrêtes saillantes, lui donnant un air d'oiseau de mauvaise augure. Il conjurait le mauvais sort à grands renforts de charmes exotiques, s'inventait des langages anciens, des dieux de fortune pour toute occasion. Il adorait par-dessus tout éprouver la patience de leur chef, lever les paysannes du coin à qui il promettait des vies trépidantes, observer les passants depuis les contreforts de Meridian pour mieux les détrousser sur les chemins de traverse. Il était le premier à frémir de tout son être aux contes qu'il narrait à la veillée et toute la bande se demandait souvent s'il ne se faisait pas lui même avoir par ses propres mensonges. Naturellement, Pazu ne le quittait plus.

Un soir, il réclama un peu de silence et dessina dans les cendres éparpillées du feu de camp, un loup, qu'il pourvu de deux braises en guise d'oeil. Pazu se lova dans ses couvertures et se retint de souffler mot. Savina se pencha par dessus son épaule, pour mieux admirer l'ouvrage, et s'apprêtait à gagner sa couche en baillant quand il commença:

-" Il était un loup au pâle regard, qui n'avait connu que le bâton des pâtres et une faim familière qui lui collait aux côtes. On le voyait souvent roder aux abords des cités, attiré par les bruits, les odeurs et la viande sur pattes se mouvant de manière insolente. Perclu de fatigue et de solitude, il s'assit un soir, à la faveur de la lune, sur les hauteurs des lieux qu'il fuyait sans cesse, son regard à l'accoutumée vide et bovin.

L'astre lui sourit à moitié, en toisant sa pauvre silhouette et son pelage où s'accrochaient quelques notes de couleurs et il lui sembla – en cet instant- reconnaître en lui l'un de ses enfants. Le loup au bien piètre entendement lui rendit son sourire de tout l'éclat de ses crocs blancs.

«  Une nuit accordée, Aurige,
et tu meneras attelage,

Une nuit concédée, Aurige,
et de la conquête tu feras ton apanage,

Une nuit volée, Aurige,
et brilleront en toi feux de l'esprit,

Une nuit arrachée, Aurige,
mais prends garde à son prix. »

murmura le vent reliant les lèvres de l'astre à la terre des mortels et voila que notre loup s'anima. Il se campa fièrement sur ses pattes, la raison lui donnant passion et cria à la nuit sa faim sans borne et sa colère. Les humains se cloitrèrent dans leurs mansardes, les oiseaux se figèrent en leur vol, le temps même s'arrêta et le monde répondant à son invective retint son souffle. Le silence qui s'ensuivit prit des airs d'apocalypse. Alors le monde apeuré se mit à suivre ce déroutant berger et de toute direction convergèrent hommes et démons, meutes et ethnies, vieux et enfants, fées et esprits errants. Le loup s'élança à travers collines et vallées, son armée grossissant à chaque croisée de chemin. Que toute âme lui soit offerte et toute force ralliée! A défaut, les renégats ou les marginaux fuyant sa toute puissante tutelle finissaient dans les griffes de ses nouveaux sujets. La peur dominant la singulière armée lui donna une force sans précédent. Sa conquête d'une nuit était allégeance pour les sages et les lâches,et curée pour ceux qui s'y refusaient. Ses détracteurs plièrent échine et quelques croisées plus loin, plus personne ne pensait briser son élan. Rien ne semblait plus pouvoir endiguer sa course effrénée.

Le loup à la robe de pourpre et aux crocs blancs, s'arrêta enfin sur les hauteurs de ses cités et contempla à la façon dont la lune pose son regard sur le bas-monde, ses fidèles suivants. Les silhouettes de ses anciens démons se découpaient à l'horizon tandis qu'ils brûlaient d'obtenir ses faveurs, les hommes avaient dessiné des blasons à son effigie sur leurs bannières, les femmes chantaient son nom et les enfants tremblaient à l'idée de lui faire offense.

Mais voilà que les rayons du jour happèrent la lune en la recouvrant d'un fin linceul d'hiver et le loup au regard d'argent vit l'éclat de son esprit dominant s'envoler aussi haut que des nuées d'oiseaux.
L'animal terrifié trouva devant lui des armées qui sortaient de nulle part et d'instinct comprit combien fuir pouvait etre vain. Mais n'est point grâce pour les tyrans déposés et notre loup ambitieux paya prix de sa vanité.
Adieu mémoire, rêves de gloire et de grandeur, illusion d'une nuit et héros d'un pas entre hier et aujourd'hui! Il mourut sans comprendre, déchiré de la main de ceux qui avaient relié leurs vies sur son éphémère et puissant destin
".

- T'as pas plus gai, comme conte, Hedrel, avant d'aller dormir, que diable? s'insurgea leur chef, une bouteille à la main, sans qu'il n'y eut porté les lêvres depuis le début du récit.
Le jeune eth se mit à rire en réponse, sans discontinuer. Ses jointures blanchissaient alors qu'il serrait sans s'en rendre compte ses mains contre son torse. Leur chef se leva avec lourdeur, en soupirant et vint s'assoir à son côté. Il lui passa un bras amical par dessus l'épaule, arracha le bouchon de sa bouteille avec les dents, et la lui mit de force entre les mains.
- Allez, bois, Hedrel, tu t'fais trop de mal avec tes histoires. Ton loup, là, c'est un imbécile, il était pas seul, mais ça, il s'en rendait pas compte.
Pazu
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Message  Pazu Lun 12 Mar - 20:59

Libremarche, été,

Thuselm


- Rends moi ce carnet, ses feuillets sont... Non, ne l'ouvres pas! s'époumonnait un jeune homme dont la voix rauque constratait avec l'allure particulièrement efflanquée.
- Viens me l'prendre, l'mage! répondit crânement Pazu en faisant volte-face, laissant à son poursuivant une chance de le rattraper pour mieux se dérober en riant.

Le kélari jouait avec un cahier relié de cuir, finement doré sur ses arrêtes et soigneusement fermé par un lacet complexe. Il s'amusait à le lancer, le rattraper par la tranche, mimer de le laisser choir au sol, au désespoir de son compagnon qui, les pommettes rouges et le souffle court, lui donnait la course depuis une bonne demi heure.

Les épouvantails des champs d'Eliam ployaient sous toute une clique d'oiseaux de mer, que les vents d'est avaient rabattus loin des côtes. La luzerne ondulait sous leurs rafales, tandis que les deux malandrins y laissaient leurs empreintes de pas irrégulières, visibles au lointain comme deux sillons bien nets. Devant eux, un arbre errodé par le vent chargé de sel, offrit un perchoir de bon aloi au kelari, et une halte providentielle au jeune sorcier, qui s'y laissa tomber à genoux et, posant son front contre l'écorce tiède, reprit contenance.

- Pazu, je t'en conjure, rends moi cet ouvrage. Tes doigts vont y laisser des trâces et... Non! pas de marques de dents sur le cuir!
- Chais ce'qu'y t'rechte à faire, l'mache! articula à moitié le kélari tout en grimpant, le précieux cahier pris en étau entre ses machoires.

Il s'assit au faîte de l'arbre, ajusta sa prise en repliant ses cuisses et dévisagea son compagnon qui tentait vainement de rallier les branches basses. Toute la meilleure volonté du monde ne suffisait au jeune sorcier. Ses paumes s'écorchaient sur l'écorce tandis qu'il ne parvenait à soulever son propre poids. Sous les railleries du kélari, il perdait son calme et, par trois fois, tomba lourdement sur ses fesses.

Tout en lui trahissait une certaine éducation. Il était le premier à faire ses abblutions à la rivière,le seul à ne pas y voir une corvée, ne tolérait pas la viande pas assez cuite, parlait toujours en utilisant des mots inconnus de ses interlocuteurs, comme s'il se plaisait à leur en faire ensuite la définition et ainsi, la démonstration de son intelligence. L'hiver dernier, racontait Hedrel, on avait cru le voir mourir de froid et depuis, il dormait près du feu à s'y brûler. Et on lui en voulait encore! Parce que Savina, l'unique représentante de la gent féminine de la bande, l'avait frictionné pendant une heure pour le rammener à la vie. On se moquait gentiment de ses manières, de ses humeurs de fillette effarouchée, et le chef lui même ne laissait jamais passer une occasion pour lui gueuler dessus.

Tout s'arrêtait pourtant à sa voix. Eraillée, elle variait de timbre au rythme de son souffle, allant d'un aîgu proche de la crécelle à un son chaud et caverneux, en de rares occasions, quand il feignait l'incantation d'un sort ou s'énervait pour de bon. Il pouvait ainsi captiver un auditoire et le tenir suspendu à ses propos, comme l'instant d'après, susciter de grands éclats de rire. Son savoir inspirait tout de même un certain respect mélé de crainte. Et personne ne remettait son utilité en question, sachant qu'il était le seul à pouvoir lire sans annoner les affiches de prime, les brèves ou encore recopier des documents officiels à tromper un juriste lui même.

De mage, néanmoins, il n'avait que le nom. Pazu, se défiant plus que quiconque des sorciers, l'avait espionné des jours durant. Thuselm n'avait jamais usé d'un seul sortilège, pas même de la plus petite inflexion pour distordre la réalité à son bon vouloir. Surpris un jour par des chiens de garde, le garçon avait préféré sauter dans un marigot proche plutôt que se défaire de la menace. Le kélari ne comprenait pas. Il avait beau questionner Hedrel, celui-ci restait évasif. Pourtant, tous les soirs, le jeune sorcier dépliait devant lui une couverture, sur laquelle il disposait avec soin ses encres de couleurs, un nécessaire d'écriture intact, des feuilles à coudre et s'attelait à son travail et ses recherches. Il aiguisait avec minutie sa plume, la durcissait à la flamme et s'isolait, de manière presque rituelle.

- Que veux-tu en échange? céda Thuselm, je peux t'instruire sur les autres, ou prendre ton tour aux corvées de la semaine, je peux même te couvrir lorsque le chef se rendra compte que c'est toi qui a remplacé son eau de vie par de l'eau claire!

Le kélari grimaça à la dernière évocation mais se campa dans sa position.

- 'veux voir tout c'que tu dessines aux veillées, au lieu d'écouter les honnêtes contes d'Hedrel, marmonna Pazu.

Joignant le geste à la parole, il délia les lacets du cahier un à un, sous le regard effaré du jeune sorcier.

- S'il te plait, souffla Thuselm, ne...

Les pages étaient blanches et vides. Le kélari perdit son air frondeur et resta interdit, manquant de peu de faire tomber l'ouvrage.

- Et maintenant? hurla le jeune sorcier, partagé entre honte et colère, tu vas courir au camps crier à tue-tête que je suis un incapable? que je fais semblant d'écrire tous les soirs? Que ces pages sont aussi vierges que les paysannes d'Hedrel?
- Non, pas, répondit Pazu à voix basse.

Il sauta de son perchoir et tendit son cahier au jeune sorcier qui hésita, puis s'en saisit promptement.

- Un demi-mage, grommela Pazu en guise d'excuse, ça vaut autant qu'un.

Thuselm rangea son cahier et s'assit à même le sol. Le kélari l'imita.

- Mon maître m'a volé le peu de pouvoir que je possédais. Les arcanes ne se forment plus dans ma tête comme avant. Quand je m'y essaye, je n'en ressens que le manque. C'est comme chercher à taton la présence d'un membre amputé, Pazu, la magie ne veut plus de moi.
- On n'peut trouver ce diable, là, et l'secouer jusqu'à ce qu'y t'rende ton dû?
- Non, répondit tristement Thuselm, il est loin et j'ignore s'il est même encore en vie. Au nord, là d'où vient le froid et où les Plans s'agitent. De toute façon, dépossédé de mes arcanes, que pourrais-je bien faire? Je n'aurai rien qui puisse l'y contraindre.
- Comment l'on peut voler la magie? demanda Pazu, l'air distrait, ça s'agite ces choses là, ça s'laisse pas attraper facilement et ça n'se possède encore moins.
- Mon maître menait des recherches sur l'âme humaine. Je l'assistais comme je pouvais. Il a dû voir en moi un futur rival ou concurrent et a pris les devant, voilà tout. Sans magie, je ne méritais même pas le gîte ou le couvert, j'étais réduit à l'état de sous-homme au yeux de leurs instances, tout juste bon à les servir et encore! parce que je n'aurais pu protéger leurs secrets, de par mon esprit trop faible. Plutôt que me tuer, il a préféré me chasser.
- Mais il t'a tué à moitié, non, s'il t'a pris ce à quoi, tu tenais l'plus? demanda froidement le kélari en fronçant les sourcils d'incompréhension.
- Non enfin... Nous étions des sectateurs isolés, dont les recherches étaient financées par... cela à peu d'importance. Je grandissais, je gagnais en puissance, et mon maître a eu peur de moi. Il me lançait fréquemment des illusions, pour éprouver ma loyauté, pour observer mes réactions, pour lire en moi comme un livre ouvert. Il... devenait fou. Toutes les choses autour de lui, moi le premier, s'ordonnait pour lui nuire, il ne dormait plus, ses passions le rongeaient... Nous jouions avec la vie et la mort, il était innarrêtable, Pazu, je ne pouvais rien faire! Je n'osais plus rien dire, je vivais dans son ombre!

Thuselm quêtait un peu d'approbation mais ne lû qu'une profonde réflexion dans les yeux du kélari.

- Je l'imitais, la magie me traversait bien plus naturellement que lui. La jalousie le rongeait. Un matin, je me suis réveillé là où nos cobayes se tortillaient à l'accoutumée, lié par l'énergie d'un puissant rituel et... Mon âme s'est ouverte en deux. Il y a plongé la main, y a retiré ce qu'il avait mis des années à m'apprendre, ces schèmes sombres que mon esprit avide liait sans cesse. Je l'entend encore me dire, "cela me profitera bien plus à moi, qu'à toi" et rire. Qu'aurais tu fais à ma place, Pazu? J'ai fuit sans me retourner, une part de moi est restée là bas.
- J'ne sais, répondit le kélari d'un ton égal.
- Mais enfin, dis quelque chose! Je servais les Plans! J'étais son bras quand il jouait avec les âmes du Fleuve, les tordant jusqu'à se rompre pour en tirer la plus petite parcelle de pouvoir! Ses...Ses... buts étaient les miens.
- il devait l'savoir, marmonna Pazu sans sourciller.
- Et alors? s'insurgea Thuselm, pourquoi tout me prendre? Depuis tout enfant, je ne rêvais que...Je ne voulais que son...

Le kélari se leva, regarda un instant la mer lointaine et se tourna vers son compagnon ébranlé.

- N'a pas voulu entrainer avec lui dans ses abîmes ce à quoi il tenait l'plus, marmonna Pazu, l'a enlevé d'toi c'qui pouvait t'empecher d'revenir parmi l'commum des hommes. Y devait sans doute partir pour un voyage sans retour et l'a sauvé c'qui pouvait l'etre encore.

Il attrapa le jeune sorcier par le col et, serrant fermement sa poigne, colla son visage près du sien.

- Si tu l'pleures, l'mage, ouvre l'Voile une deuxième fois pour aller l'sauver. Si non, n'salis pas au moins son souvenir.
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Message  Pazu Mer 14 Mar - 0:00

Libremarche, été


Sarin



- Chef, l'automne se lève. Pourquoi s'encombrer d'une bouche de plus à nourrir? Vous auriez très bien pu conduire ce gamin au Refuge Kélari, exposa calmement un grand Eth vêtu de cuir, alors qu'il revint au camp, un soir sans lune.

Pazu le regarda sans comprendre. Il s'était levé d'un seul bond pour accueillir chaleureusement celui dont ses compagnons ne tarissaient pas les éloges. "Sarin le maraudeur, Sarin le faiseur d'ombres", claironnait souvent Hedrel, guettant chaque soir le retour de leur frère vagabond. L'homme pouvait avoir trente ans, ses yeux cerclés de noir par la fatigue brûlaient comme du feu grégeois. Glissée entre ses reins, une longue lame courbe ne prenait pas la lumière, malgré son métal nu. A ses lèvres crevassées pendait un brin de chaume sec, au bout duquel un brandon prisonnier semblait ne pouvoir s'éteindre, ni consumer la tige. L'étincelle allait et venait au gré de sa respiration, happant l'attention du kélari, comme une pelote à un chaton.

- Pendant que vous jouiez les hôtes, continua l'homme sans attendre de réponse, je prenais des nouvelles qui conditionneront notre avenir, à tous.
- Sarin, le coupa leur chef, il nous est autant utile que tu peux l'être.
- En quoi? s'étonna le bandit en tournant lentement autour de Pazu, ses paumes ne connaissent pas les cals de l'épée ou du labeur. Il est à l'âge où l'on mange pour deux, on l'on dors tout autant. A-t-il au moins versé le sang? De quel bois est-il fait, celui là? de ceux qui nous vendront pour une poignée d'or le jour où il se lassera de votre petite compagnie?
- Il nous fait rire, répondit leur chef, avec tout le sérieux du monde, d'un ton qui ne permettait pas de réplique.

Sarin haussa les épaules et délaissa le kélari, plus raide qu'un poteau. Hedrel l'attrapa par la ceinture et le força à s'assoir. Le grand eth s'accroupit au centre du camp et dessina les contours de Libremarche dans la terre meuble.

- Voila les trois routes secondaires, là, notre abri. D'ici deux semaines, plusieurs convois peu armés vont tenter de rallier discrètement Meridian, en longeant les coteaux au nord de la passe de Saillant. Il se prépare une grande fête, par delà les remparts.
- Combien d'hommes en armes? demanda Savina
- Deux par convoi, plus un cocher et un marchand. Si l'on intercepte l'un d'entre eux, notre fortune est faite.
- Pourquoi la rumeur ne colporte-t-elle les bruits de ces festivités? s'inquiéta Thuselm en recopiant la carte grossière sur un bout de papier.
- Ils n'ont pas assez d'hommes pour assurer la sécurité de tous les convois. Alors ceux qui ne peuvent avoir de milice privée se payent la carte de la discrétion.
- Demain, nous irons repérer les lieux, conclut leur chef, au repos, vous autres. Je prends le premier tour de garde.

Il donna un grand coup de pied dans les braises pour les raviver. Un à un, ses compagnons gagnèrent leur couche. Certains, trop excités par la perspective de l'assaut, se tournaient et se retournaient dans leurs couvertures.
Il rentra sa tête entre les épaules, sifflota doucement quelques minutes pour se tenir en éveil, se passa en tête tout le registre de ses chansons paillardes qu'il connaissait pour tromper l'ennui puis s'attarda sur sa modeste troupe qui dormait.

Sarin ne l'inquiétait guère. Même s'il remettait souvent son autorité en cause, l'eth se rangeait toujours à ses décisions. De trop longues années de service forcé avaient fait de lui quelqu'un modelé pour suivre les ordres, pensa-t-il à regret et il se promit de tout faire pour pousser à la révolte l'ancien assassin.

Savina s'était imposée comme son bras droit, lui qui disait un an plus tôt ne vouloir de "femelle" parmi la bande. Elle lui avait démontré, avec patience et acharnement, qu'on pouvait tirer parti d'un groupe de malandrins dépenaillés pour en faire quelque chose. Elle leur avait donné des cours d'armes, mis en place des habitudes qui faisaient désormais partie de leur quotidien, comme les veillées où l'on vidait ses sombres pensées ou des marches forcées les jours où la langeur prenait le dessus. Elle lui avait montré d'autres ambitions que celle de finir au bout d'une corde et lui avait interdit de boire plus que de raison, la pointe de l'épée sous la gorge, un soir de printemps. S'il l'aimait sans doute, il chassait cette pensée avec honte, un peu comme s'il effleurait un fin et délicat tissu de ses mains larges et sales.

Hedrel lui donnait bien plus de soucis. Le jeune eth cachait derrière son enthousiasme et ses grands éclats de rire des blessures profondes, qu'il n'avait pas encore réussi à découvrir. Et pourtant, il ne se passait pas un jour sans qu'il cherche à mettre en confiance le garçon. Il se revoyait dans son audace et sa faconde. Pris de cauchemars, le jeune homme se mit à geindre imperceptiblement, agité de soubresauts. Leur chef se leva sans bruit et, une fois de plus, dissipa ses mauvais songes en lui parlant tout bas et en passant sa main dans ses cheveux.

Thuselm l'énervait. Il n'arrivait pas à cerner ce "petit nobliau", comme il disait souvent, qui n'avait que ses stupides lettres comme arme. Une concession de plus, songea-t-il en regardant Savina, pourtant le garçon ne ménageait pas ses efforts pour l’intérêt de la bande. Son sang-froid et sa capacité à réfléchir même sous la menace leur avait déjà sauvé la mise, concéda-t-il. Il prit fermement la résolution d'être plus commode avec lui, même s'il savait qu'elle tiendrait sans doute jusqu'à demain, quand le garçon les prendrait de haut une énième fois. D'un autre côté, il avait pour lui de grands projets, comme en faire un homme, le mener au printemps aux bordels de Rivage et lui apprendre les vraies choses de la vie, celles qu'on ne saura jamais dans les livres.

Il s'arrêta enfin sur Pazu, qui feignait sans doute de dormir, lové en boule sous ses couvertures. "Pauvre drôle, pensa-t-il. Toujours à parler de Rivage à longueur de journée".
- D'où viens-tu, bonhomme? se demanda-t-il, songeur.
Jamais il n'avait surpris dans la voix du kélari, nostalgie ou regret. Si la garçon parlait de sa mère, il l'animait, juste en narrant des anecdotes colorées. L'on sentait l'haleine des bêtes percluses de chaleur, quand il se prenait à dépeindre les marchés aux bestiaux. L'on tremblait au son sourd des vagues de sable, qui barraient l'horizon comme un nouveau ciel ocre. Et il racontait le désert avec une telle candeur, qu'on croyait voir le paysage dans ses yeux.
Le chef s'en voulait de lui avoir flanqué une raclée, la veille, quand il avait compris que le jeune kélari avait fait un sort à sa réserve de bouteilles. Il avait lu dans ses yeux du garçon que derrière le mauvais tour, se cachait une inquiétude sincère pour son état. Pourtant, cet alcool viendrait peut être à manquer cet hiver, et, ça, il ne s'en rendait pas compte.

Il pensa à son frère cadet, qui avait réussi. Sa femme à la lourde poitrine, ses neveux qui ne savaient même pas qu'ils avaient un oncle. Ses trois acres de terrain fertiles, aux abords du désert, un héritage en sa défaveur, des choses communes, qui arrivent tous les jours, disait-il souvent. Il entendait son vieux père cracher qu'un homme de mauvaise vie, ne sème rien, meurt comme un chien et laisse son nom à l'oubli, pour le bien des vivants.

- Regardez moi! éructa-t-il aux flammes avec rage, regardez ma famille!

Tout à ses pensées, il ne s'aperçut même pas que Pazu avait depuis longtemps quitté ses couvertures, pour rallier à la faveur du feu vacillant, les ombres du sous-bois.
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Message  Pazu Mer 14 Mar - 18:02

Libremarche, été


Lueur




La nuit sur ses épaules, Pazu dévalait les hauteurs du bastion de Denegar. Se retournant sans cesse aux formes qui peuplaient les ombres, il serrait un grossier gourdin de bois, sursautant aux roulements lointains du ressac et chantonnait à voix basse, pour les couvrir et se donner du courage. Au loin, le feu de camps n'était plus qu'une minuscule étincelle. Il frémit à l'idée de le perdre de vue.

- Si j'longe la côte, tôt ou tard, j'tomberai dessus, se rassura-t-il, y vont voir, au matin.

Les mots s'étranglaient encore dans sa gorge.

- Les vendre? murmura-t-il d'un son inarticulé,

Sa loyauté mise en doute le faisait suffoquer.

- J'suis l'bandit l'plus fameux d'Rivage de Fortune! clama-t-il en direction du feu lointain, j'suis des votres...

Sa propre harangue sonnait creux à ses oreilles. Il retint ses larmes et se concentra sur la raison de son escapade: Trouver un tribut, en or, en tissu, en épices, qu'importe! La moindre tête de bétail ferait l'affaire, ou à défaut, une bonne arme, songeait-il en faisant défiler des idées de butin. Qu'est-ce qui faisait la gloire d'un bandit? se demanda le kélari en machonnant un bout de pain emporté pour la route. Il songea en premier lieu la prudence, au talent qui préserve les malandrins de la corde, et chassa rapidement cette qualité. Les hauts faits de vol des histoires de Sables, vantaient surtout l'intelligence et la ruse de leurs héros. On se souvenait soit, de ceux qui duraient, soit de ceux qui avait connu une mort particulièrement sanglante.

Dépité, Pazu soupira. Il estima la position de Méridian, seule place-forte de sa connaissance où il gageait pouvoir dénicher quelque chose de valeur et se mit en route. Les hameaux avaient depuis longtemps barricadé leurs encadrures et soufflé leurs bougies. Des nuages d'orage voilaient si bien la voute céleste qu'en une demi-lieue, le garçon se trouva complètement perdu. A trop vouloir effacer sa piste, en sautillant de racines sèches en pierres, il n'arrivait à la remonter lui même. Il prit un peu de hauteur, par trois fois, changea d'arbre, mais il ne distinguait pas dans l'obscurité ni la haute tour d'Orphiel ni les lumières impies de la Forteresse Imprenable. Le bruits même de l'océan était si lointains et sourds, qu'il pouvait venir de toute direction.

Soudain, il avisa un voyageur qui coupait à travers champs, à la lumière d'une flammèche bleuâtre, nichée au creux de sa main. De son arbre, Pazu reconnut un étranger et elfe de surcroit. Haut de taille, celui-ci se courbait sur son halo, comme pour le protéger d'un vent inexistant. Jeté sur ses épaules à la manière d'une cape, un long manteau de plumes effleurait le sol à sa suite. Une chaine d'or blanc coûteuse en reliait les attaches. A son torse partiellement nu, battait au rythme de ses pas, une petite médaille de Santic.

Des haut-elfes, le kélari en avait croisé un bon nombre, marchands pour la plupart. Il avait même réussi une fois à se faire passer pour le fils d'un d'entre eux, en se grimant. Sa mère lui disait de s'en défier et d'éviter leur sillage mais ne lui avait jamais interdit d'accueillir leurs bateaux, avec sa bande de gamins eths. Cet elfe là avait l'air désarmé, riche, et absorbé par son halo. Pazu ne savait quelle fortune remercier.

Pourtant, lorsqu'il assura sa prise sur son gourdin, une peur nouvelle lui glaça l'échine. Il n'avait jusqu'ici attaqué que des chiens errants ou des bandes rivales. Se jeter sur un inconnu, en pleine nuit, sorcier peut être, au vue de la flamme, lui collait des frissons d'angoisse. Dans quinze pas, l'étranger passerait sous l'arbre. Il n'aurait qu'à se laisser tomber, se servir de son poids et de sa chute, frapper entre les deux épaules, prendre sa bourse et sa chaîne, s'enfuir sans demander son reste, jeter son bâton au feu, rentrer triomphalement à la lueur de l'aube et... Il n'eut pas le temps de se réchauffer à la perspective, qu'avalant quatre pas quand il lui en aurait fallu huit, le grand elfe passait sous son perchoir, indifférent à la menace qui se tendait au dessus de lui.

Le kélari bondit de sa branche en hurlant, le gourdin brandi comme une faux à battre le blé. Le voyageur fit un pas en arrière, esquivant de justesse, ses yeux s'écarquillèrent un instant de surprise tandis que le suivant, il se campait fermement sur ses jambes. Pazu, atterissant souplement au sol, d'un rebond, sautait à nouveau sur sa proie. L'elfe enroula le bout de bois de son manteau, s'en servit pour rammener son agresseur à lui, le faire pivoter d'un demi-tour et, dans le même temps, replier le bras armé du garçon dans son dos. Un craquement sinistre suivi la manoeuvre. Pazu ferma les yeux, ne sachant qui, de son arme improvisée ou son bras, avait cédé. La douleur se faisant attendre, il se risqua à ouvrir un oeil.

- Est-ce la haine ou la faim qui t'animes? lui chuchota à l'oreille le voyageur, d'une voix monocorde.
- L'un ni l'aut', grommela le garçon en ruant comme il pouvait.

Il sentait les plumes dans son dos, la peau froide de l'elfe, son souffle - légérement saccadé par l'effort - dans sa nuque. Une odeur de sel, collant ses vêtements, lui rappella ces marins ballottés de port en port, qui peuplaient les tavernes des docks. Les feux de mer, qu'on laissait partir les soirs sans lune, où les vents réduisaient le grand phare au crépitement d'une allumette. Sa mère, qui se levait tous les matins à l'heure où les bateaux convergèrent au port, le regard nourri d'espoirs, en disant qu'elle allait "voir le temps qu'il ferait aujourd'hui". Alors qu'il se détendait, loin de sa facheuse posture, de la nuit sombre et des querelles du camps, le haut-elfe le retourna d'une bourrade sur l'épaule, pour croiser son regard.

- Loué ou simple d'esprit soit celui qui arme son bras sans passion, souffla-t-il en détaillant le kélari.
- Cherchez vot'route? Z'etes un marin à quai, c'est ça? L'vent vous a rabattu sur les côtes, comme les oiseaux?

Le garçon ne songeait plus à fuir. il cacha derrière lui les restes de son gourdin et oscillait d'un pied sur l'autre, comme s'il mourrait d'envie d'entendre l'histoire.

- Je marche en terre d'Emeraude, même si l'on m'en dénie le privilège, murmura l'elfe, et j'achète mon droit de passage, cette nuit. Ta main.

Pazu la lui tendit sans hésitation. Le haut-elfe ouvrit sa paume et y glissa une lourde pièce, frappée aux couleurs de Sanctum. Indifférent aux récriminations du kélari, qui ne voulait de sa charité, l'étranger souffla sur sa flammèche pour la raviver et disparut dans les ombres.






- Je l'ai trouvé! hurla Thuselm en dénichant Pazu au creux d'un arbre noueux, en hauteur.
- Faites moi descendre cet oiseau là, où je le fais moi-même! tonna leur chef en accourant.

Le soleil était haut dans le ciel. Le kélari se réveilla à leur clameur, massa ses membres endoloris et se leva en baillant. Il rallia des branches plus souples pour distancer Hedrel qui obtempérait de bon coeur. Admirant son auditoire un instant, Pazu leur lança sa pièce de platine brillante en souriant.

- Voila, qu'les haut-elfes d'la grand'ville au nord y passaient par chez nous, commença le garçon, et qu'cette nuit, j'remontais la piste d'l'un d'eux, qui formentait j'ne sais quel foutu plan. L'diable d'homme, y s'arrêtait jamais, y marchait comme pas deux, j'ai cru l'perdre trois fois. Puis, à un moment, voilà qu'y s'pose sur l'bas côté, mets à bas ses chausses et s'soulage comme y s'doit. Moi, ni une, ni deux, j'y saute dessus, j'le fauche en pleine besogne, comme on dit, j'l'entend raide d'un bon coup derrière l'crâne et...

Il montra en guise de preuve son bâton cassé en deux.

- Heureusement qu'y portait l'armure, sinon j'y ouvrais la tête en deux! N'avait qu'ça sur lui, l'pauvre hère, j'allais pas lui prendre son arme et son armure, fallait bien qu'y rentre chez lui pour leurs dire comment qu'on les accueille, nous, les étrangers!
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Message  Pazu Jeu 15 Mar - 20:25

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Message  Pazu Sam 17 Mar - 21:57

Libremarche, été



Premier sang (1)




Thuselm entretenait le feu. Les braises avides rongeaient une à une les herbes sèches qu'il leur tendait avec réticence. Le linge fraîchement battu à la rivière séchait au soleil timide. Une vieille chemise d'Hedrel, rajustée aux aisselles pour Pazu, s'envola. De l'autre côté du camp, une belle poule rousse, de bonne taille et volée la veille, se dodelinait entre les couches éparses et les affaires en désordre. Le jeune sorcier allait d'une tâche à une autre, nerveux et sombre.

- Sarin est avec eux, ils ne risquent rien, dit-il à la poule pondeuse, ils vont rentrer au soir, nous festoierons. Peut être pourras-tu sauver tes abattis.

L'animal quémanda quelques grains en réponse, il la chassa d'un coup de pied. L'attente lui semblait un prix trop lourd à payer, pour ne pas participer aux assauts de ses compagnons. Il reprit une nouvelle fois sa carte de la région, refit du doigt leur trajet et fini par ouvrir son précieux cahier.

Précédée d'une en-tête nominative soigneusement calligraphiée, une date solaire, vieille de plusieurs jours, trônait en haut de la première page.

"
Je souhaiterais, par la présente, vous instruire de mon départ. Je vous suis gré de la façon dont vous m'avez accueilli parmi vous et espère vos entreprises fructueuses. Je ne doute pas que vous saurez forcer la chance en votre faveur, tôt ou tard. Je ne manquerai pas de vous rembourser ma dette un jour, quand les temps auront fait de moi un sorcier puissant et influent. Je pars pour la lointaine Mornelande, j'y ai laissé des affaires en cours, de celles qu'on ne peut se détourner et ne sait de combien, elles me retiendront. Ne cherchez pas après moi, s'il vous plait, ne rendez pas ma décision plus difficile.
Prenez soin de vous "


Thuselm jetta rageusement la brève au feu et s'attela à la réécrire une nouvelle fois. Les termes s'entrechoquaient dans sa tête. Il les voulait simples, "à leur portée" songea-t-il, mais formels. Il espérait secrètement qu'ils se jettent à ses trousses, au nom de la folie de l'investiture. Il songea à Pazu et la battue à moitié nocturne, aux flambeaux, qu'ils avaient mené deux semaines plus tôt. Le retiendrait-on, lui? Sarin se donnerait-il la peine de remonter sa piste en jurant froidement que "s'il n'était pas mort en route, il se chargeait de l'office?" Savina sortirait-elle de son habituelle langueur, cette fois là? Le kélari comprendrait sans doute, pensa-t-il. Il chassa ces pensées avec honte, pourtant il mourrait d'envie de simuler son départ et d'observer leurs réactions.

Un vent du nord, réchauffé par l'été sur le déclin, fit claquer sa chemise sur son dos. Il leva sa plume et se tourna vers les montagnes septentrionales. Les bourrasques s'engouffraient dans les passes. Cassées par la roche, elles venaient mourir dans les plaines de Libremarche en gémissant. Il frissonna. Ses pas se souviendraient de la route, ils l'avaient déjà faite une fois au son de ce vent là.


----

Sarin ouvrait la marche d'un bon pas et au diable ceux qui ne suivrait sa cadence. Pazu trottinait sur ses talons en l'observant à la dérobée. Le silence lui pesait. Depuis l'aube, tout deux s'étaient porté en éclaireurs, au devant des convois. La route, serpentant entre les champs et les arbres clairsemés, n'offrait que peu d'endroits à couvert. Quelques oiseaux bariolés s'envolèrent sur leur passage. Le kélari les regarda disparaître en fronçant les sourcils.

- Ils migrent vers le sud, répondit Sarin comme s'il avait lu la question dans ses pensées, l'automne se lève.
- Pourquoi, qu'on n'ferait pareil? demanda le kélari, on n'aurait qu'à prendre par l'bras d'mer, là où le lac s'déverse dans l'sel.
- Nous ne sommes pas des oiseaux.

Le garçon acquiesça d'un signe de tête, comme si l'explication et sa logique imparable lui suffisaient.

- Hedrel m'a confié que tu disais être poursuivi par un fantôme, le soir de ton arrivée. Qu'est-ce? Une de tes fables?

- Huit, maugréa Pazu, qu'y étaient. Y m'prenait par le bras, m’empêchaient d'marcher dans la direction qu'j'voulais, hurlaient j'ne sais quels mots à mes oreilles. Surtout un. Un fantôme plus enragé qu'les aut'. Y les traine.
- Et là, où sont-ils?
- Y disparaissent au loin, répondit le kélari d'un air vague en accompagnement la direction du menton, moins j'pense à eux et plus y s'effacent. J'les vois à peine, au lointain. J'les ai semés depuis longtemps. L'chef avait raison, si on y croit plus, ils s'montrent plus.

Sarin leva les yeux au ciel.

- Pourquoi j'vous accompagne? demanda Pazu à brûle-pourpoint.
- Ordre du chef.
- Z'auriez préféré n'importe qui d'aut'.
- Oui.
- Moi aussi! s'exclama le garçon en envoyant rouler au loin un caillou.
- ça nous fait un point commun.
- Vous faites des réserves d'paroles? comme des quarts?
- Pardon?
- Parlez pas pendant quat'heures, puis un peu pour l'silence des quatre suivantes?
- N'importe quoi. Tais toi maintenant.
- C'est vous qu'avez envie d'parler!
- Plus maintenant.
- Pourquoi vous restez pas au camp au lieu d'y passer tous les mois? Pourquoi tourner autour sans l'approcher?
- Ces feux là me brûlent quand toi ou les autres, ils vous réchauffent.
- C'est faux! s'entêta le kélari.
- J'ai ma propre source de chaleur, ironisa l'ex-assassin en désignant son brin de paille enflammé.
- J'n'vois pas à quoi elle vous sert.
- Quand les curieux dans ton genre suivent l'étincelle, c'est mes mains qu'ils ne regardent. Le temps qu'ils s'en détachent...
- Un matin, j'vais éteindre vot'veilleuse pour de bon.
- Tenu.
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Message  Pazu Dim 18 Mar - 22:35

Libremarche, été




Premier sang (2)






Savina ressera l'attache de ses cheveux. Son épée battait la mesure le long de sa cuisse, lui donnant une démarche militaire et chaloupée à la fois. Elle se tourna vers Hedrel, qui sifflotait nonchalamment, les bras croisés derrière la tête. Flanqué d'un grand chapeau de paille, il ressemblait à un garçon de ferme en vadrouille.

- Hedrel, pourquoi tu t'afflubles de ce genre de chose?
- Il allait de paire avec la poule! retorqua le jeune homme en l'ôtant pour la saluer. Si Thuselm y touche en mon absence, d'ailleurs, c'est lui que je plume!
- Nous devrions nous hâter, les autres nous attendent sans doute au point de ralliement.
- Tu plaisantes? Sarin et Pazu doivent s'entretuer et le vieux boite à moitié les jours de grisaille! Nous serons à la croisée avant eux, même s'ils ont une heure d'avance sur nous, je t'assure.
- Quelle idée, de se séparer sur les trois routes secondaires... commenta la jeune femme, nous aurions mieux fait de nous mettre en planque à un point et attendre un passage. Je vois pas pourquoi nous changerions nos habitudes.
- Savina... L'on ignore quelle route prendront les convois d'avant garde... Faut bien couvrir la distance! J'espère que ce sera la nôtre, j'ai parié une pièce avec le vieux qu'on tomberait dessus avant eux.
- Tu feras quoi, une fois couvert d'or, Hedrel? demanda la jeune femme en s'arrêtant soudain.
- J’achèterai une carriole tirée par deux chevaux Eldrich, toute parée de fer et d'acier. J'viendrai vous visiter, tous, chacun votre tour. Toi, les bras chargés de gosses tenant une école d'arme. Pazu, venant de prendre le monopole commercial de Rivage. Thuselm, avec une barbe et vingt kilos de plus, commandant un bataillon de mage dans la régulière. Sarin, je le vois bien en bateleur. Il en a pas l'air, mais il aime le spectacle, ce corniaud. Le vieux, je l’emmènerai avec moi voir du pays, s'il a pas mieux à faire ailleurs.
- Charmante perspective...
- Et toi?
- J'en sais rien.
- Si tu veux, on partage.
- Quoi donc?
- Mes idées, répondit le garçon en riant. Tu n'auras qu'à dire que c'est les tiennes, si ça te fait plaisir! Je peux penser pour deux, à défaut.
- Imbécile!
- Tu as souri! s'exclama Hedrel triomphalement tout en reculant de trois pas par précaution.

Une lourde pluie d'été s'abattit sur la région, détrempant les sentiers mal entretenus. Tout deux coururent à l'abri d'une paroi rocheuse. L'horizon chargé d'orage ne permettait aucun point de vue conséquent.

- C'est bien notre veine, grogna Hedrel, si il faut, nous aurons même pas à tendre une embuscade pour bloquer leurs charriots, leurs roues s'embourberont avant ce soir!
- Regarde, murmura Savina en posant machinalement la main sur sa garde.

Non loin, des lanières de pluie distordaient l'éther. L'averse inversa soudain son cours. Comme affranchies des lois, des gouttes d'eau remontaient à leur source une par une, malmenées par les vents. Une faille naissait.

- Il faut trouver les autres, ordonna la jeune femme.

Au mépris du danger, elle sauta en contrebas de leur cachette et coupa vers la route. Hedrel lui emboita le pas, tenant son chapeau d'une main et tirant son épée courte de l'autre, par à-coups. Derrière eux, le grondement de l'orage couvrait à peine les cris des engeances des plans qui brulaient leurs poumons, pour la première fois, à l'air télaran.




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- Mais cours! hurla Sarin sous la pluie battante, poussant à moitié devant lui son équipier qui trébuchait.

Le kélari ne détachait son regard des trous béants qui zébraient le ciel. Ils dégueulaient des flots ininterrompus de créatures au sang froid, qui erraient ça et là, éparses et désorganisées. Mues par une soif de sang inextricable, certaines s'entre-déchiraient, mêlant à l'eau qui jaillissaient des brèches, leurs fluides épais et sombres. L'instinct grégaire donnaient à d'autres, des airs de volailles effrayées, tandis qu'elles se collaient les unes aux autres, s'agglutinant autour de la faille dont elles provenaient, comme des papillons à un fanal. La plupart se réunissaient en meute et se risquaient loin des sources de pouvoir, prenant en chasse le moindre vivant.

Insolemment, l'étincelle de Sarin luttait contre la pluie. Il rassembla ses idées en des priorités simples. Ses pupilles se rétrécirent doublement de frayeur, quand il entendit des bruits de cavalcades à faire trembler le sol se mêler soudainement aux cris des bêtes qui les talonnaient. Derrière eux, la route se soulevait à la charge d'une centaine d’Élus, sonnant leurs olifants à la vision, comme un défi au Plan lui-même et non aux pitoyables sbires qu'il offrait à leur courroux. Bardés de fer et de magie, la force vive de Méridian se jeta sur le gros des ennemis, sans égard pour ceux qui se trouvaient entre.

L'armée montée n'avait rien d'un bataillon. La haine farouche des plans et la défense du territoire semblait les seules choses qui poussaient ces hommes à une alliance de circonstance. Sous les sabots de leurs montures métalliques, les créatures les plus lentes éclataient comme des panses tendues. Sarin les vit venir comme un troupeau de buffles lancés, et pour une fois, Pazu partagea son effroi. Interdit, les lèvres entrouvertes, le kélari les regardait fondre sur eux. Ses jambes lui faisaient défaut, les ordres de Sarin n'étaient plus qu'un son lointain qui se mêlait au chaos des vents, des cors et de l'orage. L'ex-assassin entrevit une crevasse gorgée d'eau, il arracha du sol son compagnon tétanisé et se rua dans la direction en conjurant le ciel de lui en donner le temps.

Une hampe d'étendard l'envoya rouler au sol. Un sabot métallique lui broya la cuisse. De vieille pensées s'insinuèrent à son esprit perclus de douleur. Il lui serait aisé de se servir du corps du garçon comme bouclier. Cent Élus éparpillés, quelques secondes à peine et la route serait déserte à nouveau. Un secret de plus, parmi tant d'autres, à porter. L'ex-assassin étouffa un rire un peu fou et, serrant Pazu contre lui, il offrit son dos à l'armée en marche.
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Message  Pazu Dim 25 Mar - 1:30

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Premier sang (3)






Les failles se refermèrent, aux cris d'agonie de leur général d'un jour. L'averse gonflait les cours d'eau des restes de ses séides, que se disputaient déjà les premiers charognards. Quelques élus parcouraient les sentiers, le heaume au coude et l'épée au fourreau. Gorgée d'eau, de sang et de magie, la terre en friche des champs d'Eliam promettait des récoltes sans précédent.

Au camp, bien loin des clameurs et des batailles, Thuselm pataugeait, la poule et ses effets les plus fragiles sous l'aisselle. Le garçon portait un vieux manteau goudronné, rabattu sur les yeux et maudissait les jours qu'il lui faudrait pour décoller l'odeur tenace du vêtement. Leurs modestes coupe-vents de bois avaient cédé depuis longtemps et le vent avait jeté sur la plage en contrebas la plupart de leurs bâches de peaux tendues. Thuselm s'y risqua en trébuchant. Du haut de la falaise, on avisait de petits esquifs qui louvoyaient le long des côtes, luttant contre la tempête qui menaçait de les envoyer sur les écueils. A leurs voilures sans drapeau pendaient des boules de verre, qui emprisonnaient un peu de lumière.

Thuselm s'appuya à un arbre aérien et rajusta sa prise sur la volaille qui se débattait. Il déloga sans ménagement deux rongeurs qui vivaient sous ses racines et s'y glissa en rampant. Repliant ses genoux pour gagner un peu d'espace, il rabattit son manteau sur les orifices de son abri. Creusant la terre avec ses ongles, il dégagea une motte de la grosseur du poing et déchira une feuille de son cahier pour faire partir un feu. Une bonne demi heure plus tard, quelques flammèches léchaient ses effets humides.

Le garçon repoussa la paille et les herbes sèches du terrier et, enorgueillit par sa réussite, reprit son exercice d'écriture.


Vous tous,
Merci pour les moments passés à vos côtés. Ils m'ont donné l'envie de prendre mon destin en main et régler ce que j'ai laissé derrière moi. Je pars aujourd'hui, mais ce n'est qu'un au revoir, vous me reverrez au printemps. Quand j'aurai retrouvé ma magie, nous jouerons dans la cour des grands! Nous écumerons les côtes de Sables, les routes de Saillant et tous ces autres lieux où les bandits ne se risquent pas. Peut être pourrions nous devenir forbans? Je gonflerai nos voiles et plierait les courants à notre cap. Monter une guilde à Rivage et détrôner les usuriers qui y prospèrent? J'en fais mon affaire, quelques mots soufflés à l'oreille la nuit et ils se lèveront au matin tout prêt à nous servir. Au printemps, promis, je serai de toutes nos rapines. A vous imaginer aujourd'hui, trempés jusqu'à l'os à guetter d'hypothétiques convois, je me dis qu'on mérite mieux.


Prenez soin de vous,
Thuselm


Il plia soigneusement sa missive et la glissa sous sa chemise. La poule rousse se débattait toujours, l’œil rond et torve bien qu'il n'y prêtait plus attention. La faible clarté du jour s'abîmait. Le garçon, bercé par la chaleur et le bruit de la pluie ricochant sur l'écorce, ne tarda pas à s'endormir. Il se revit, quelques années plus tôt, avec tant de finesse que son cœur se serra d'angoisse.

Il neigeait. Sur les hauteurs des Pics du pin de fer, on dressait des remparts contre les failles et le froid. Enfant, on ne lui donnait pas un hiver et à manger, avec réticence, tant on pariait peu sur sa nature chétive. Il se revit courir après les petites chèvres de montagne pour boire à même leurs mamelles sèches ou dormir aux étables, parmi la paille et les bêtes. Bâtard non entretenu, sinon les quatre premières années de sa vie, il survivait alors comme il pouvait, élevé par le frère ainé de sa mère défunte parmi une bordée de chiens de traineau et de têtes de bétail.

Son rêve s'étirait. Les années faisaient de lui un enfant frêle et vif, qui refusait la mort. Au village, quand on perdait une bête, un vieux ou un nouveau né, les regards se chargeaient de rancune à son égard, comme s'il était insultant qu'il leurs survive.

Vendu en lot avec deux des meilleurs chiens du chenil pour quelques pièces, le garçon n'avait même pas rechigné. Il avait prit la chose comme une corvée de plus, avec docilité. Ses rêves, depuis longtemps, étaient resté avec les petits chevaliers de bois et les soldats peints.

Son nouveau maître était curieux. Sa barbe courte et sombre s'effilochait en torsade comme la mèche d'une bougie. Son regard ne s'attachait jamais à un objet précis, balayant sans cesse le paysage. Plutôt jeune, il riait volontiers, avec une certaine suffisance. Il plaisantait, demandant aux villageois qui, d'un chien ou d'un enfant ferait un meilleur garde. Il flattait les chiens en imitant leurs aboiements et avait demandé à son nouvel apprenti, avec tout le sérieux du monde, s'il préférait monter sur l'un d'eux ou partager son cheval. Il se moquait de tout, ostentatoire et provocateur, tenant son auditoire par l'argent qu'il dispensait sans réserve et une forme de crainte mal formulée. Le mot "sorcier" était sur toutes les bouches.

Alors qu'ils quittaient le village de montagne, l'un juché sur un chien de garde qui le faisait deux fois et l'autre jouant avec l'écho de sa propre voix dans les reliefs, la neige se mit à tomber à gros flocons.

- Pourquoi tu ne m'imites pas? demanda soudain son maître, les deux mains en porte-voix, les enfants n'aiment-ils pas ce genre de jeux?
- On doit pas crier en montagne, ça attire les avalanches, chuchota le petit garçon en montrant du doigts les gros paquets de neige qui s'accumulaient sur les hauteurs.
- Qu'elles viennent! répondit joyeusement le jeune homme, porté par l'enthousiasme d'une expérience nouvelle. Moi, Andrac, sorcier de mon état, vous défie!

Il se saisit de son apprenti par les aisselles et le leva au-dessus de lui.

- A ton tour. Hurles ton nom à ces vallées, mon garçon. Si tu ne leurs apprends à se défier de toi, jamais elles ne te respecteront.
- Thuselm! cria l'enfant en serrant les poings.

Quand les montagnes colportèrent sa voix haute perchée, il sursauta, comme si l’appellation vieille et poussiéreuse avait été reléguée au rang de souvenir.

- On fera de toi un bon mage, Thuselm, conclut Andrac en lui ébouriffant les cheveux.


Le garçon se réveilla en sursaut, avec l'impression désagréable qu'on observait ses songes. Son feu de fortune s'était éteint depuis longtemps. Il tâtonna avec ses doigts dans le noir pour chercher la présence rassurante de la poule rousse, en vain. En pestant, il se dépêtra de son manteau goudronné pour sortir de son abri. Dehors, une nuit silencieuse ceignait les champs. Le ciel bardé d'étoiles semblait à portée de bras. Il n'y avait ni vent ni bêtes, juste quelques lueurs, encore, ballottées par le vent sur les côtes. Thuselm s’avança vers le camp désert, en resserrant ses effets contre lui.

Le temps d'un battement d’œil, une étoile s'éteint. Puis une autre. Effaré, le jeune sorcier se tourna sur lui même, cherchant machinalement la source d'un sort ou d'une illusion. Petit à petit, les constellations cédaient à un océan de noirceur. La nuit, avide et froide, avalait le paysage, effaçait les esquifs fantomatiques des rives, engloutissait les flaques d'eau éparses, la moindre source de lumière ou de reflet. Pris de terreur, Thuselm rassembla ses énergies brisées pour allumer un feu quelconque mais il ne tira de son esprit hagard qu'une vive douleur.

La nuit le happa, pénétrant ses poumons, étouffant ses cris dans sa gorge. L'air lui manquait, son regard s'embrumait déjà. Alors qu'il luttait pour ne pas disparaitre dans les ombres, sa missive d'adieu tomba au sol. Il tendit le bras de toutes ses forces pour la retenir, en vain. Profitant de l'instant de faiblesse, où son esprit torturé lui glissa que personne ne viendrait dès lors à son aide, la nuit l'emporta loin de Libremarche.
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Message  Pazu Mar 3 Avr - 2:22

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Premier sang (4)






Les pierres défilaient, rondes et lisses, mêlées d'eau et de sable. Elles s'écartaient sous le passage des roues cerclées de fer d'un petit attelage. Un cheval de course, harnaché pour l'occasion comme une bête de somme, tirait sous le soleil implacable une carriole de fortune, dont l'essieu rafistolé d'une corde ne promettait rien de bon. L'animal renâclait, un peu de bave coulait le long de sa robe teintée de sueur.

- T'auras pas volé ta ration d'avoine, ma vieille, lui chuchota son propriétaire marchant à son côté, tu vois Méridian, là bas sur les hauteurs? Me claque pas entre les doigts et j'ferai de toi un cheval heureux.

Il lui flatta l'encolure d'un geste bourru et regarda une nouvelle fois derrière lui, l'air vaguement inquiet. Les sillons creusés par les roues du charriot s'emplissaient petit à petit d'eau de pluie qui dégorgeait du moindre dénivelé. Flanqué d'un manteau de maille trop court aux manches et aux genoux, le garçon ressemblait à un mélange de soldat déguisé et d'écuyer en investiture. Sa cotte bourrée de coton, coupée aux épaules, s'effilochait. Sa ceinture d'arme, trop large et lourde, pendait à ses hanches comme un paquet de linge. Ses cheveux coupés très courts, sa démarche un peu raide et la fatigue de trois jours de campagne vieillissaient ses traits juvéniles.

Jetés en travers de la selle vide et sanglés fermement, les corps inertes de Sarin et Pazu tressautaient au gré des chaos de la route. Les mâchoires serrées et le regard vitreux, l'ex-assassin se raccrochait à son brin de chaume. L'étincelle vacillait, menacée par sa respiration rauque et le sang poisseux qui glissait entre ses dents. Il s'étouffait.

- Hola, mon gars, l'en est de même pour toi, grommela l'écuyer en l'attrapant par les cheveux pour lui redresser la tête, tu vaux plus cher vif que mort aux offices, t'avises pas de mourir en route!

Le garçon essaya de lui ouvrir la mâchoire pour y glisser le goulot d'une flasque d'alcool mais se résigna rapidement. Son attention se porta sur le jeune kélari. Ses yeux mi-clos ne cillaient pas. Quelques blessures superficielles empourpraient sa chemise et engluaient ses cheveux. L'écuyer enleva ses gantelets pour prendre son pouls et agita sa main devant son visage pour capter son regard.

- Un kélari, souffla-t-il avec mépris, depuis quand s'accoquinent-ils avec les traîtres et les meurtriers? Tu fais honte à ta race, mon gars, t'es peut-être pas encore sur les registres de prime, mais je t'assure qu'ils vont s'occuper de ton cas à Méridian. Et prie pour qu'on offre la corde à ton acolyte. La peste soient les criminels en temps de guerre, qu'épuisent nos forces et nos ressources quand tous nos bras devraient se lever contre les Plans!

Il cracha par terre, rageur. Son sens de l'honneur lui cuisait les joues de n'avoir eu qu'à ramasser les deux blessés.

- Vers quoi je tourne ma lame, hein, le kélari, si les chiens comme vous n'avez même pas un peu de répondant? Tu crois quoi? Qu'on m'achète? Que je ne l'ai pas achevé ton comparse parce que les officines le veulent vif et que la prime est meilleure? Pas du tout! Je lui offre un procès équitable et une chance d'expier ses fautes, plutôt que crever facilement sur une route! Une mort juste.

Ses pensées s'embrouillaient. Il rabattit la capuche de son manteau de maille pour se protéger du soleil. A l'arrière de l'attelage, quelques caisses de bois transportaient pêle-mêle des pièces d'armure dépareillées, des têtes de créatures enveloppées dans du tissus, quelques épées abandonnées, des griffes où pendaient encore des morceaux de chair séchée, que le garçon ramenait de ses trois jours de campagne pour en tirer un bon prix.

Pazu courait sur les hauteurs de Rivage. Au loin, le désert se prenait de soubresaut. Des murs d’ocres s'élevaient de terre, s'entrechoquant comme un océan pris de colère. A leur danse, les bêtes et les hommes cédaient à la terreur. Même à l'abri des cavernes, au plus profond des ruines, on entendait le martellement du sable rouler à sa guise, découper le paysage, en redessiner les reliefs. Les portes eths tiendraient-elles jusqu'à la tombée du jour? Combien manqueraient à l'appel, une fois le fléau passé?

Le kélari se réveilla soudain, les à-coups du cheval martelant son crâne comme les vague de sable, ses cauchemars. Bien qu'il n'y prêtait pour l'instant que peu de sens, les paroles de l'écuyer sonnaient encore à ses oreilles. Il se força à ne pas trahir son éveil et dégagea son esprit des brumes de Rivage. Sarin vivait encore. Il entendait son cœur battre régulièrement, l'air quitter ses poumons avec effort. Qu'étaient devenus les autres? Les liens qui le retenaient meurtrissaient ses poignets. Les failles d'eau n'envahissaient plus le ciel. L'averse ne tombait pas et le soleil chauffait son dos. Pazu se raidit. Il devait leur situation à sa peur. Sarin pouvait mourir à cause de sa peur. En dépit de toutes ses fanfaronnades, de toutes les bravades qui émaillaient ses récits, le seul moment où il eut fallu la dépasser et la vaincre, il avait fait faux bond. La douleur lancinante du triste constat et de ses blessures l’empêchaient d'entrevoir un issue. Il ferma les yeux et laissa son esprit perdu regagner les côtes accueillantes de son enfance.

L'écuyer s'arrêta sur le bord du sentier et mena son cheval par la longe à une flaque d'eau claire. Il déchargea les deux blessés en les déposant rudement à l'ombre d'un arbre et défit les harnais de sa monture. Le garçon soupira en avisant les brûlures causées par le cuir sur la robe de l'animal et, arrachant une poignée d'herbe, il entreprit de l'étriller. Sa tâche finit, il dégrafa sa propre ceinture d'arme et son tabard, joua quelques instants avec son héraldique dont le temps avait effacé le dessin et s'attaqua à une collation.

Rivage s'éveillait. Les lueurs de l'aube caressaient les petites maisons de torchis. Pazu se faufilait de toit en toit, pieds nus pour faire moins de bruit, défiant l'équilibre. Il crapahutait sur les cordes à linge tendues, s'arrêta soudain pour plonger un bâton dans un bac de chaux vive et dessiner un drapeau pirate connu sur la volière d'un bâtiment officiel. Son cœur battait à tout rompre. Il parvint aux quais, se glissa derrière les marchandises, inspira un grand coup et rallia sans effort la rive adjacente. Assurant ses prises comme s'il grimpait à un arbre, il commença à escalader, sous le regard incrédule des manœuvres et des marins qui n'avaient pas encore dormi, les falaises abruptes qui ceignaient l'anse. Parvenu à son but, indifférent aux haut-cris qui fusaient en contrebas, il traversa le grand pont de pierre qui surplombait la rade. A mi-chemin, le garçon écarta les bras et se laissa tomber, dans un vertigineux plongeon qui ferait des histoires pour six mois. N'avait-il touché l'eau que le temps s'arrêta. Les couleurs devinrent ternes, les oiseaux pleins de vie à l'instant se figèrent. La chaleur des vents de terre se dissipa, il ne restait que le paysage, comme une peinture sans relief.

- Va-t-en, le chassa une voix qui s'abîmait.

Devant lui se tenait un fantôme. Il avait presque entièrement disparu. Les détails qui soulignaient autrefois son habit et ses armes s'étaient effacé au profit d'un vent sans forme. L'apparition n'avait plus rien d'humain. Une partie de son visage s'effilochait. Tout ce qui restait d'énergie au spectre semblait s'employer à ne pas s'effacer.
- Ne...cause pas leur...perte, articula faiblement le fantôme en se rapprochant du kélari
- Pas ici, n'avez pas le droit! hurla le garçon en faisant de grands gestes devant lui, C'est mes souvenirs!

Fou de terreur, il regarda les images peintes s’effondrer autour de lui.

- Jusqu'où vous allez m'poursuivre? hoqueta Pazu en reculant.
- Va-t-en, ordonna le fantôme dans un dernier effort en tendant ses doigts informes vers le garçon.
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Message  Pazu Mer 4 Avr - 13:35

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Message  Pazu Mer 4 Avr - 18:53

(suite Premier sang (4))



L'écuyer mâchonnait une pomme verte, l'air songeur, grimaçant aux bouchées acides. Son incursion dans les Gorges Écarlates les avaient mis à mal, lui et son cheval, et il se demandait combien de temps sa monture pourrait endurer pareil traitement. La vie reprenait son cours, sur les champs d'Eliam. Les oiseaux piaillaient à nouveau sur les branches luisantes de pluie, le vent emportait les nuages d'orage loin vers l'est. Les derniers combattants rentraient en petits groupes à Méridian en vantant leurs prouesses martiales respectives tandis que certains poussaient leurs chevaux sur les sentiers, rivalisant d'acrobaties. Sans clan ni blason, l'écuyer les regarda passer sur la route avec envie.

Adossé au pied de l'arbre, Pazu s'agitait. Il tomba en avant et, pris de convulsions, se mit à sangloter dans sa langue maternelle. Les mots kélari heurtèrent les oreilles de l'écuyer qui se leva et vint s'accroupir à son côté.

- Réveillé, mon gars? demanda le garçon en s'approchant de Pazu, tu vas peux être m'expliquer pourquoi tu traines avec un...

Il recula sous le choc d'un violent coup de tête au menton que lui décocha l’intéressé. La lèvre fendue, l'écuyer rétablit son équilibre et jura en s'essuyant la bouche du revers de la main. Il empoigna son prisonnier par le col de la chemise et le souleva d'un seul bras.

- Tu crois peut être que ça m'dérange de t'assommer? tonna le jeune guerrier en le menaçant de son poing libre
- Je veux rentrer au camp avec Sarin, articula Pazu avec difficulté, le regard perdu.

L'écuyer relâcha sa prise et le laissa tomber au sol sur ses fesses. Il se dirigea vers ses sacoches de selle en riant.

- C'est une demande de grâce? railla-t-il en jetant une outre d'eau au kélari, à d'autres, mon gars, tu ne m'achèteras pas, ni avec ton argent volé, ni avec tes pleurnicheries. Je suis un Élu et je fais mon devoir. Si j'épargnais ton comparse et le laissais fuir, j'serais responsable de toutes les morts et les exactions qu'il perpétuerait derrière. La seule justice que j'pourrais reconnaître, c'est celle des armes, mais ça a pas l'air d'être ton domaine, hein?

Il sortit de la carriole une longue lame dont l'acier bleuâtre ne prenait pas le soleil.

- Tu veux ta liberté, gagne-la par l'épée, le kélari, ironisa l'écuyer en s'approchant de son prisonnier, l'arme au poing. Pour peu que t'arrives à la soulever.

Tirant une dague de sa botte, le jeune guerrier trancha ses liens d'un geste prompt et planta devant lui son épée longue.

- Tu fuis, je t'abats d'une flèche dans le dos comme un lapin.

Pazu se redressa sur ses jambes. Il attrapa la lame par sa garde et du s'y reprendre trois fois pour la sortir de terre. Incapable de la tenir d'un seul bras, il la maintint devant lui en s'aidant de sa main non directrice. Tirant sa claymore de son fourreau, l'écuyer s'avança vers lui à pas lents en souriant et le fit tomber en arrière d'un coup de pied.

- Faut être stable sur ses appuis, mon gars. C'est comme ça que tu sauves ta peau et celle de ton acolyte? J'aurai cru que t'allais y mettre un peu plus d'ardeur, plaisanta-t-il en désignant du pouce sa lèvre fendue.

Lorsque les dernières crénelures des reliefs de Sable s'effacèrent à son esprit, Pazu dévisagea son adversaire en reprenant son souffle. Il n'arrivait pas à le haïr. Il n'arrivait pas à tirer de sa peur et la colère la force suffisante pour le terrasser. Ses mots l'avaient frappé plus durement que les estocades qu'il lui portait pour le faire réagir. Profitant de son inattention, l'écuyer l'envoya rouler au sol une nouvelle fois.

- Alors le kélari? Qu'est ce que ça fait d'être roué de coups par une force supérieure à la sienne? ça fait quoi d'être la place des villageois qu'les marauds dans votre genre pillent?

Se campant sur ses jambes, le jeune guerrier raffermit sa prise sur sa lourde épée et attaqua franchement, fendant l'air juste au dessus de la tête de son adversaire. Les assauts brutaux sifflaient aux oreilles de Pazu qui esquivait comme il pouvait en criant lorsque la lame passait à quelques centimètres de son visage.

"Il a peur". La pensée vint à l'esprit de Pazu comme une évidence. Malgré son armure et sa lourde lame, l'écuyer était pétri d'angoisses, de bien autre nature que le simulacre de duel qu'il donnait.

Engaillardi à cette vision, le kélari risqua une attaque maladroite en sautant, le jeune guerrier le repoussa d'un violent coup d'épaule en pleine poitrine au milieu de son bond. Suffocant, Pazu roula sur le côté en esquivant la claymore qui se fichait l'instant suivant dans l'herbe en soulevant des mottes de terre.

"Il a peur de ce qu'il devient. Il doute de ses choix. il aimerait..." Les mots s'agençaient lentement en son esprit, comme une impression s'affinant au gré du combat qui se prolongeait. Entrecoupée par ses manœuvres désespérées pour contenir la violence du jeune guerrier, sa réflexion s'ébauchait lentement.

L'écuyer arma son épée en beuglant.

" Il joue avec moi".

Au moment où il l'abattait une fois de plus dans le vide de toutes ses forces, Pazu se jeta au devant de la lame, présentant son cou à la frappe de taille. Les yeux du garçon s'écarquillèrent, il s'arc-bouta de toutes ses forces, incrustant ses semelles dans la terre meuble, pour retenir sa claymore. Les muscles de ses bras se tordirent sous l'effort. Emporté par son poids, il trébucha, le kélari le frappa au visage d'un coup de tête et tomba avec lui dans l'herbe, l'épée dressée entre eux deux. La lame de Pazu passa entre les côtes du jeune guerrier avec un grincement sinistre, alors qu'elle ripait contre l'os. Écrasé par le corps inerte du garçon, Pazu se dégagea en rampant, couvert de sang chaud.

- Tu peux courir, le kélari, s'étrangla l'écuyer en luttant pour ne pas céder à l'inconscience, je n'aurai cesse de te retrouver et vous flanquer la corde au cou, toi et tes maraudeurs d'amis. Tu ne peux pas me tuer. Je...suis un...

Il se mit à pleurer de rage et de douleur.

- J'te tuerai à chaque fois si y faut, répondit Pazu d'un ton égal en enlevant l'épée longue de la poitrine du garçon et en fourrant sa chemise sur la plaie béante. L'gars qu'y m'parle d'sa justice comme si c'était la justice d'tout l'monde, l'est mort aujourd'hui, celui qu'y viendra demain ça s'ra un aut'. Regarde les nuages tout ton soûl, j't'emprunte ton cheval et ton armure pour aller chercher d'quoi vous remettre sur pattes à la grand'ville.
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Message  Pazu Mar 1 Mai - 3:24

Méridian





Pris de vertiges, fermant les yeux au moindre saut, à moitié allongé sur sa monture, Pazu chevauchait à travers champs. Libre de ses entraves et de son lourd attelage, celle-ci s'en donnait à cœur joie. Le kélari se cramponnait à ses rênes en fermant les yeux, le cœur au bord des lèvres. Pris de nausées, il se laissa rouler dans l'herbe en sautant. Le cheval, docile, fit volte face. Malgré un bain intégral - chausses et cotte comprises - dans un cours d'eau, l'armure de l'écuyer dans laquelle il flottait dégageait une odeur de sang tiède et de métal rouillé. Les anneaux de maille, déchirés au niveau du torse, lui rappelait sans cesse son violent assaut, qu'il tentait vainement de chasser de son esprit. Le son de l'épée heurtant l'os, le sifflement de l'air qui s'échappe des poumons, le regard ivre de douleur de son premier vrai adversaire lui collait des frissons d'angoisse. Il revoyait le jeune guerrier déployer tous ses efforts pour ne pas le décapiter et lui-même, profiter de cet instant de faiblesse pour le terrasser.

Le cheval vint quémander timidement une caresse, le kélari s'appuya contre son flanc pour ne pas chanceler.

- Vais le r'mettre sur patte, ton maître, souffla-t--il en appuyant son front contre le poitrail de l'animal, demain ou après d'main y gambadera comme pas deux, promis. Mène moi à la grand'ville par d'la les contreforts, là où qu'c'trouvent toute sorte d'médecine et des gens en habit pour la faire. C'est un Elu, qu'y dit, y peut pas mourir, l'a la peau dure, va pas crever pour si peu vu qu'y peut pas. Mon comparse, lui, l'a la vie qui tient à pas grand'chose, tu comprends?

Il grimpa à nouveau en selle et se redressa au passage d'une patrouille rurale. A l'unisson, le cheval prit un air de parade, gonflant son poitrail. Le sergent en arme qui dirigeait l'escouade se porta en avant de ses hommes et salua le kélari sans défiance. Les soldats s’arrêtèrent sur l'épée au côté du garçon, encore poisseuse de sang et son armure en piètre état, dont les anneaux pendaient en cliquetant joyeusement.

- Salutations, Elu, Méridian vous est une fois de plus redevable, les remparts ne céderont pas face à l'infamie! déclara le sous-officier en s'arrêtant à sa hauteur, les civils sont à l'abri de nos murs et les routes sécurisées, dois-je envoyer une estafette à notre capitale annoncez votre retour triomphant? Voulez vous que je vous détache quelques uns de mes hommes?
- Laissez à d'aut' vos us, c'n'est d'circonstance, soldat, répondit Pazu en essayant d'ordonner les mots du sergent dans sa tête pour y trouver un sens, menez moi plutôt à une honnête étable et mon cheval, une bonne table, ou l'inverse, j'gage.

Les patrouilleurs se mirent à rire, le sergent se détendit d'un seul coup et se risqua à lui tendre la main de manière amicale. Pazu la serra en essayant d'assurer une poigne ferme et en réprimant ses tremblements.

- Avec nous, Elu, nous vous ouvrons la route! claironna le chef de la patrouille, quelle bataille, tout de même, quelle bataille! Nous étions cantonnés à défendre Denegar mais on en entendait la clameur jusqu'à la mer!
- J'en ai achevé un! s'exclama fièrement le cadet de la troupe, de ma lance! Racontez-lui, vous autres!
- Un profond qui t'arrivait au mollet, et boiteux de surcroit! se moqua l'un de ses camarades.

Le kélari se força à sourire. Les yeux pleins d'admiration, le jeune soldat gravait ces minutes dans sa mémoire. Le sergent racontait les manœuvres de combat, la levée rapide de tout les boucliers de Libremarche, l'évacuation des civils, la défense de Dénégar avec emphase. Bientôt, Méridian se découpa sur les hauteurs. A la faveur du début de soirée, aux tons presque automnales, les crénelures de ses fortifications se confondaient avec les reliefs qu'elle bordait. Des tabards de couleur volaient aux vents, des cors festifs résonnaient jusqu'au bas des collines. Des odeurs de venaison embaumaient déjà l'air, faisant saliver malgré lui le kélari qui ne savait depuis combien d'heures ou de jours il n'avait mangé. Aux portes de la ville, des enfants accrochaient des lampions tandis que d'autres mimaient des scène de combat, armé d'épées de bois. De nombreux citadins retenus par des gardes formaient une haie d'honneur le long des grands escaliers qui ouvraient la cité. Tous célébraient le retour des Elus. Dans l'ombre fugace du fronton principal, quelques dignitaires que le kélari ne connaissait pas assistaient à la parade, en se chuchotant des mots à l'oreille, les uns les autres, à chaque nouvel arrivant. Des scribes consignaient à toute vitesse la moindre élocution de l'un de héros du jour. Pazu se mordit la lèvre, se demandant s'il ne volait pas ces instants de gloire. Il haussa les épaules. "Tout s'gagne, se repêta-t-il, ces gens veulent juste croire qu'y vont et'es sauvés, y s'raient prêt à donner leur âme pour l'premier corniaud qu'y leur dira qu'y vont s'en sortir". Il monta les marches, indifférent aux applaudissements. "des héros de papier, continua-t-il dans ses pensées".

- Votre nom? s'enquit pour la cinquième fois un administrateur endimanché, Elu? Votre nom!
- Dazel, répondit Pazu sans réfléchir.
- Le sieur Dazel, héros de Libremarche! annonça le héraut tandis que le kélari franchissait, bon dernier, les portes intérieures de la ville.
Pazu
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